Encore un matin où je pense à un autre pays, à une autre langue, parfois même dans une autre langue...
Lorsqu'Isabelle ALONSO m'a donné, après que je l'ai longuement " draguée ", son manuscrit, pour être honnête (si, ça arrive dans l'édition, non je vous promets...) j'ai été scotché !
Même après avoir lu ses deux premiers romans (publiés chez un con...current ! - je tiens à dire que pour un certain nombre de raisons que je vous expliquerai ici un jour, c'est la maison d'édition pour laquelle j'ai le plus de tendresse et de respect... !), je ne m'attendais pas à un tel choc émotionnel...
... !
J'ai d'abord été frappé par le fait que L'Exil est mon pays est l'incarnation, à mes yeux, de ce que doit être la littérature ; c'est-à-dire une histoire bien écrite, avec des vrais personnages et qui raconte quelque chose dans lequel nous pouvons tous nous reconnaître.
Je sais, cela semble basique, mais c'est si rare...
Cela, c'est l'aspect " clinique " des faits, monsieur le Juge ; après, il y a l'aspect subjectif, et là, je dois dire comme dirait mon pote Jean-Luc " Brasserie Fernand, le meilleur rapport qualité prix de Paris, l'atmosphère est au-delà d'être sympathique - allez y de ma part - cette publicité non mensongère est intégralement payée par l'amitié qui me lie à Jean-Luc... ", donc comme il dirait : " j'ai pris cher... ! ".
Pourquoi ai-je " pris cher " ?
Simplement parce qu'Isabelle à travers cette histoire, racontée avec une justesse de ton exceptionnelle à travers les yeux d'une petite fille (exercice extraordinairement délicat que de faire parler un enfant sans que cela ne paraisse factice ou démagogique), racontait simplement, sans le savoir, l'histoire d'une partie de ma famille !
Incroyable qu'un Cohen-Solal puisse être mêlé, de près ou de loin, à la tragédie qu'ont vécue les républicains espagnols, et pourtant, " pourtant je n'aime que toi, et pourtant, pourtant je n'aime que toi ", c'est le cas.
Pour plusieurs raisons
- Ma mère est Basque (à moitié espagnole... ça y est, ça commence à imprimer ?)
- Mon père, juif d'origine espagnole, dont la famille a traversé les siècles et l'Afrique du Nord, pour finir par s'établir en Algérie, d'où mes grands-parents ont été " virés " en 1962 (je ne parlerai pas du fait qu'il soit légitime que les Algériens aient un pays, c'est un billet sur l'exil et non sur la décolonisation... !)
- J'ai songé, à l'âge de 20 ans, à aller vivre ailleurs, dans une autre langue, dans un pays que j'aime, qui me fascine et auquel je suis viscéralement attaché par des années passées là-bas... J'y suis allé, j'en suis revenu... Non pas du pays que j'aime toujours autant, mais parce qu' entre autres raisons, ce n'était pas le pays de ma langue...
Mitterand, pour lequel je n'ai aucune sympathie particulière, voire une certaine antipathie, avait pour habitude de dire : " On est du Pays de son enfance ", bien entendu ce n'est pas faux ;
mais je crois aussi que l'on est du pays de sa langue, de sa culture...
Le livre d'Isabelle montre cela formidablement bien, c'est-à-dire en décorticant avec une grande intelligence, non seulement les situations les plus rocambolesques - je vous recommande particulièrement le passage de la frontière par la mère d'Angustias (l'héroïne) clandestinement avec son bébé - mais aussi, surtout les situations les plus - apparemment - anodines du quotidien qui vous mettent face à cette différence inaltérable : émigrés/immigrés sont toujours différents dans le regard de l'autre mais ils le sont aussi, peut-être surtout, dans leur regard du monde extérieur, celui qui n'est pas celui dans lequel ils devraient vivre s'ils n'avaient pas été contraints d'en partir.
Au-delà du côté personnel (me concernant) de cette histoire, il y a un côté universel.
Car en dehors de quelques rares êtres humains, aujourd'hui, les migrations de population font partie intégrante de notre histoire, que ce soit pour des raisons politiques (on parle plus volontiers d'exil) ou pour des raisons économiques (on parle plus volontiers d'immigration - et d'aucun voudrait qu'elle soit choisie... quand les gens n'ont pas les moyens de vivre là où ils sont nés, soit on les accepte chez nous qui en avons les moyens, soit on donne à leur pays les moyens de se développer et donc de les nourrir! Parce que franchement, les gens qui partent, s'ils avaient eu le choix, ils seraient restés! Tous, y compris ceux qui ont construit l'Amérique, Israël, comme ceux qui ont dû fuir la construction de ces pays-là : les Palestiniens, et avant eux, ailleurs, les Arméniens, les Irlandais, les Italiens, les Russes Blancs, etc...) alors l'immigration choisie c'est le choix de ne pas avoir à émigrer, voilà ce que c'est l'immigration choisie !
Non mais ça suffit à la fin, sans blague... merde !
Et encore pour ceux-là - en dehors du problème du Proche-Orient sur lequel pour des raisons évidentes je ne m'étendrai pas - ça ne s'est pas trop mal passé...
Mais pour les gens venant des " pays du sud ", bref les maghrébins et les africains en particulier, c'est pas vraiment le bonheur l'émigration... même s'ils rêvent que cela le soit.
Voilà pourquoi L'Exil est mon pays est un livre indispensable, parce qu'il ouvre sur le monde, parce qu'il ouvre sur la vie, parce que c'est définitivement un très grand livre indispensable.
Merci Isabelle.
Je suis drôlement content, heureux et fier d'avoir été insistant pour publier ce livre... !
P.S. : Après avoir lu ce billet, vous comprenez que la dernière motivation qui était la nôtre soit le fait qu'Isabelle "passe à la téle", parce que la télé elle y passera, alors que la littérature elle y restera !
C'est pas une raison pour faire une faute à Mitterrand monsieur Gilles. Sinon, tout cela est bien troussé et ça donne envie.
Rédigé par : Lionel F | 19 septembre 2006 à 16:13
Tomber dans un livre, c'est une jolie chute..espérons encore de nombreux vertiges..:)
Rédigé par : Antoine Dole | 19 septembre 2006 à 11:56
Je peux témoigner que tu défends bien tes auteurs, grand fou au cigare ! T'ai vu à l'oeuvre avec l'ami Pierre Pelot... Vais lire et écrire sur Isabelle Alonzo, soon, super nana fémino-sexy dont je partage un poco de sangre issue de l'immiogration espagnole... coco et tout : olé !
Signé Guillaume Chérel, auteur de "Prends ça dans ta gueule !" (Ed. du Rocher), dont le site et le blog sont trouvables sur Google à Guillaume Chérel... Ai cause de vous et de toi... Gilles : éh éh... Bise virile
Rédigé par : Chérel dit Big G | 19 septembre 2006 à 11:13
Très bel article Gilles.
Tu donnes vraiment envie de lire le livre d'Isabelle.
Je suis aussi en parfait accord avec toi sur l'immigration.
L'immigration choisie, c'est de pouvoir choisir d'immigrer, pas d'y être contraint.
Au Kerala, pour parler d'une réalité que je connais bien, des milliers d'hommes vont travailler, dans des conditions de travail qui frôlent souvent l'esclavage, dans les pays du golfe.quand ils rentrent au pays (tous les deux ans) ils boivent, boivent, boivent, pas tous bien sûr, mais beaucoup.
Et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres;
je pense aussi à tous ceux qui viennent s'échouer sur les rives de Lampedusa, après avoir payé, à prix d'or à un passeur, une place sur un rafiot bondé;
non, l'émigration n'est certainement pas le bonheur, c'est un moyen, pour avoir moins faim, pour offrir un futur meilleur à ses enfants, pour vivre.
Et je suis convaincue que nous avons un devoir d'aide, de solidarité à accomplir, comme tu l'écris :"soit on donne à leur pays les moyens de se développer et donc de les nourrir";
L'équilibre du monde est indispensable, pour l'avenir de tous.
Rédigé par : céleste | 19 septembre 2006 à 08:47