Parfois, alors que la ville s'est endormie (c'est vrai que c'est beau une ville la nuit mais c'est pas une raison pour emmerder tout le monde avec ça !), le téléphone ne sonne plus, les fax n'arrivent plus et alors surgit le moment pour lequel nous faisons ce métier : celui de la lecture ! Pas le métier, le moment...
Donc j'y suis, enfin, seul... presque !
Je vois une pile d'enveloppes Kraft et je choisis, au hasard. Toujours.
Pas pour ne pas faire de jaloux, non, simplement parce qu'il n'y a pas d'autres possibilités !
J'ouvre l'enveloppe et qu'est ce que je m'aperçois...
... souvent, presque toujours, ce n'est pas très bon. Voir même très mauvais !
Je vais vous la faire brève cette note du soir, j'ai des bouquins à lire, des bons...
Souvent c'est très faible. Mal écrit, sans idées, sans style et parfois sans grammaire ni orthographe...
Chaque élément n'étant malheureusement pas exclusif des autres !
Je suis donc, à chaque fois fébrile et tremblant " comme un jeune marié " pensant que je vais découvrir une perle... et bien : non !
C'est du toc prétentieux et vulgaire, une espèce de joncaille graveleuse, maquillée comme une voiture volée.
Car c'est majoritairement cela aujourd'hui, les livres que nous ne publions pas : du nombrilisme, de l'auto-analyse, du ni fait-ni à faire, du " pas d'idées, pas d'histoire et pas de style ", et ils se demandent pourquoi nous ne les publions pas !
Pourquoi certains et pas eux ?
Parce que pour publier un livre il faut avoir envie de travailler avec l'auteur, qu'il ait envie d'entendre une lecture critique et que nous soyons aptes à le faire.
Il ne suffit pas de donner un CD à un imprimeur...
Il faut avoir été charmé, séduit, attendri, choqué. Bref, il faut qu'il se passe quelque chose...
Et souvent ce quelque chose arrive la nuit, dans le calme d'un bureau déserté et la curiosité aiguisée à l'idée de trouver.
Trouver un texte, une écriture, des personnages, une atmosphère , un je-ne-sais-quoi qui fait instantanément penser : ça je veux le publier !
C'est rare, très rare mais tellement bon, grisant, exaltant que ces nuits passées à attendre, à essayer de trouver, à vouloir découvrir prennent enfin tout leur sens lorsque LE livre paraît.
Et à ce moment-là, on oublie instantanément tous les reproches faits aux manuscrits que l'on a refusés.
Je vais vous faire un aveu : c'est beau un livre, la nuit.
Tu as parfaitement raison Gilles : il n'y a que dans les petites structures qu'on s'occupe vraiment bien des auteurs. Dans les grosses on a tout simplement pas le temps et c'est vrai que ce sont les "mamouths" responsables de l'inflation des livres de la rentrée. Normal que les libraires se plaignent d'etre noyés sous les offices ! Je suis justement en train de lire un bouquin dont je tairais bien sûr le titre et la maison. Mais il s'agit d'une grosse maison. Le livre est plaisant, mais visiblement personne ne s'est foulé à relire la traduction, fort lourdingue !
Rédigé par : Rose | 23 septembre 2006 à 13:42
Un vieux professeur me disait un jour : "le découragement est toujours proche, mais je garde la flamme tant que, prenant dans le paquet une copie nouvelle, je me dis que cette fois peut-être c'est la bonne, l'élève brillant qui va rattraper tous les autres."
J'aime bien ce que vous écrivez sur "l'envie de travailler avec l'auteur". Ayant été (brièvement) éditeur (des livres.. de profs), je me souviens de ces fameuses enveloppes kraft, des textes parfois mauvais, (très) rarement bons, souvent juste moyens. Et parmi ces derniers, une petite flamme jaillissait parfois (venait-elle du livre ou venait-elle de moi?) qui donnait envie de sauver celui-ci, de rencontrer l'auteur et de voir si on pourrait lui donner vie...
(Tiens, ça fait longtemps que je n'avais pas repensé à ça. Je ne l'aurais pas fait si vous n'aviez pas "poussé" aux commentaires... ;-)
Merci donc, et bonnes lectures !
Rédigé par : prixdeflore2006 | 23 septembre 2006 à 10:00
Bien sur qu'il y a des dérogations, coups de pouces, passes droits et autres copinages...
Mais c'est surtout vrai dans des maisons dont la production est quantitativement importante...
Parce que cela fonctionne en réseaux, renvois d'ascenceurs et autres filouteries du même accabit...
C'est cela aussi qui participe à l'inflation de titres qui est parfaitement néfaste à la qualité du travail des libraires qui n'ont plus le temps de s'occuper des titres intéressants comme ils le mériteraient...
Je presiste et je signe : ce sont les grosses maisons qui sont responsable de la surproduction et du bordel ambiant!
Cela fera l'objet d'une note dédiée ...après Francfort!
Rédigé par : gilles | 23 septembre 2006 à 06:31
Je ne voudrais nullement mettre en doute vos compétences, mais simplement partager ma propre expérience en ayant travaillé "au bout de la chaîne" si j'ose dire : nous arrive dans les pattes des épreuves qu'on est censé vendre à l'étranger comme le chef d'oeuvre du siècle. Pitié ! C'est à pleurer s'il faut penser que, vraiment, tous les autres manuscrits étaient pires (on se demande comment on peut réussir cet exploit, non, je ne citerai pas de nom moi non plus !). Pourquoi ne pas avouer une bonne fois pour toutes, puisque nous parlons librement ici, enfin j'espère (!) des fameux "renvois d'ascenseur" ? Pourquoi tel auteur nullisime se prenant pour le centre du monde est-il publié régulièrement, sans s'améliorer qui plus est, d'un iota ? Bin pardi, ne serait-il pas critique littéraire dans un bon canard ? Ou encore membre d'un jury dans la course aux prix ? Allons, soyons honnêtes : les livres publiés qui sont mauvais (et dieu sait si ça ne manque pas sur les étagères de nos chères librairies) le sont grâce à des passe-droit (allô Pivot, y'a des "s" kekpart ?) de ce genre, non ?
Rédigé par : Rose | 22 septembre 2006 à 16:46
Très beau texte, monsieur ! C'est beau un éditeur qui parle si bien de son travail, quelle que soit l'heure d'ailleurs.
"Car c'est majoritairement cela aujourd'hui les livres que nous ne publions pas : du nombrilisme, de l'auto-analyse, du ni fait-ni à faire, du" pas d'idées, pas d'histoire et pas de style" et ils se demandent pourquoi nous ne les publions pas!
Pourquoi certains et pas eux?
parce que pour publier un livre il faut avoir envie de travailler avec l'auteur, qu'il ait envie d'entendre une lecture critique et que nous soyons aptes à le faire."
Je vous rejoins complètement, en tant que lectrice et en tant que romancière apprentie qui vient de trouver un éditeur. Quelqu'un, enfin, avec qui partager ce fameux dialogue critique dont vous parlez si bien, quelqu'un qui me fait des remarques d'une grande justesse que j'écoute et engrange, parce que mon roman n'en sera que meilleur, je le sais. Cela fait neuf ans que je travaile, que j'apprends mes limites, que je me heurte à mes doutes, que je définis ma ligne de conduite (ce que je veux écrire, même si je n'en suis pas encore capable. Ce que je n'écrirai jamais) mais ces 9 ans n'étaient rien puisqu'ils m'ont aguerrie, rendue capable d'écrire et de bâtir une fiction avec de vrais personnages. Et de trouver, au bout de cette route, un éditeur qui vous ressemble.
Merci pour votre texte, qui m'évoque ce que je suis en train de commencer à vivre, sans y croire tout à fait. Et en sachant que le plus difficile est toujours devant soi.
Rédigé par : Gaelle | 20 septembre 2006 à 11:32