Il est 5h25, nous sommes le 4 novembre 2015 ; j’entends au loin une voix que je connais bien. Serait-ce David Bowie ? Mais oui ! Rien de mieux qu’un bon rock pour se réveiller à l’aube ; surtout lorsque les prochaines heures se révèlent aussi chargées en aventures toutes plus trépidantes les unes que les autres.
Je saute de mon hamac, enfile mon monocle et cours revêtir mes vêtements de bandit des mers. Attention, aujourd’hui, j’enfile mon crochet du dimanche ; c’est l’occasion ou jamais. Je m’apprête à rencontrer une troupe de fidèles moussaillons, prêts tout comme moi à s’emparer d’un trésor enfoui au bout d’un long voyage de plusieurs lieues.
Moment sacré que le petit-déjeuner d’un pirate ! Il est essentiel de prendre des forces pour faire face à toutes les épreuves de la journée, et ne pas envoyer valser le navire dans un récif en s’endormant sur son gouvernail. Mais il est déjà l’heure de lever l’ancre. Comme tous les matins, ma mère et moi rassemblons nos affaires avant de prendre la mer ; mais cette fois, le trajet sera plus long. Nous quittons notre île situé à l’extrême est du royaume de France et nous ne revenons pas avant demain. Nous n’oublions à aucun moment que nous avons une mission à accomplir : partir en quête du légendaire Prix Clara, dont la valeur semble dépasser beaucoup de coffres au trésor que l’on a déjà pu trouver.
Les ténèbres s’illuminent lentement et les rayons du soleil se reflètent sur la mer encore calme. Cap à l’ouest ! Les premières murailles de la cité parisienne apparaissent à l’horizon. Nous sommes contraintes d’abandonner notre cher navire au port pour rejoindre l’hôtel qui accueillera une partie du futur équipage.
Mais, que vois-je en route ? Par la moustache de Barbe-Noire ! Déjà un avis de recherche placardé dans le métro pour les autres gagnantes et moi ! « Wanted » ; est-ce que l’on nous veut déjà pendues sur la place publique ? Nous n’avons eu encore aucun ennui sur le sol parisien ! Serions-nous déjà si connues ?
Nous pénétrons dans le hall de l’hôtel et qui voyons-nous arriver quelques minutes plus tard, avec un manteau rouge digne du plus élégant capitaine ? C’est Valentine, notre guide dans la chasse au trésor ! Nous avons déjà échangé de nombreuses missives au cours de l’été. C’est elle qui m’a annoncé au début du mois de juillet que j’étais digne de partir à la recherche du Prix Clara ; grand honneur que j’ai appris un peu plus tard que les autres, certains messages s’étant perdus en route (au milieu de l’océan les facteurs se font rares). Notre guide nous invite à rejoindre le point de rassemblement, où je vais enfin pouvoir rencontrer mes compagnons d’aventures.
Après un « tea time » à l’hôtel avec environ sept heures d’avance par rapport au fuseau horaire de Greenwich (tradition à connotation quelque peu aristocrate pour une hors-la-loi comme moi, mais bon, que voulez-vous, tout le monde a ses contradictions) c’est avec un hâte que je m’y rends, cheveux aux vents et nécessaire de survie en milieu étranger dans mon bagage. Moi et ma mère sommes accueillies par le Capitaine Héloïse d’Ormesson en personne. Valentine me remet aussitôt quelques lingots d’or, une première récompense pour ma nomination au titre de pirate confirmé ; et, encore plus excitant, l’ouvrage contenant toutes nos péripéties. Car c’est bien nos noms qui y figurent ! Avec nos récits d’aventure, nous serons aussi célèbres que Sinbad le marin ! Ces récits plus ou moins inspirés par nos vies de jeunes matelots, ou tout droit sortis de notre imagination ! Qui a dit que les pirates n’étaient pas adeptes de littérature ? Que les loups de mer ne savaient pas tenir une plume à l’endroit pour coucher sur parchemin les fruits de tant de voyages et de découvertes ?
Je l’ai déjà dit : le Prix Clara n’est pas un de ces trésors auxquels nous sommes habitués, une vieille malle remplie de pièces au fond d’une grotte perdue ; c’est la reconnaissance de notre esprit aventurier par un jury d’explorateurs des mers confirmés. Avec ceci, notre réputation de redoutables pirates est faite dans tout le royaume !
Ma mère me quitte pour partir en quête des mystères de la capitale ; pendant ce temps, je descends dans la salle du conseil de piraterie, rencontrer ma première associée. Il s’agit d’Elora, aussi enthousiaste que moi à la perspective de cette journée extraordinaire. Nous aidons notre guide Valentine à accrocher d’autres avis de recherches aux murs de la salle ; après tout, cela peut être excitant de se sentir « wanted » de partout ; comme des célébrités que tout le monde s’arrache !
Arrivent Marie, Anne-Lise et Chimène (avec de formidables chausses rose pétard ; excellentes pour l’aventure, mais pas vraiment discrètes si l’on veut récupérer un trésor). Mais notre équipage n’est pas encore au complet ; nous devons quand-même quitter notre salle de complot pour se faire tirer le portrait (afin d’illustrer plus précisément nos avis de recherche). Tamara et Louise nous rejoignent finalement, ayant eu quelques problèmes avec leurs navires respectifs.
Ça y est ! Notre équipage est formé, avec sept bandits plus redoutables les uns que les autres ! Mais à peine posons-nous le pied dans les Arènes de Lutèce que nous apercevons un uniforme bleu marine. Nous avons enfreint la loi, il est interdit de prendre des photos ici. Quoi ? Déjà des problèmes avec la police alors que ça ne fait que quelques heures que l’on est à Paris ? On aura certainement reconnu notre allure de hors-la-loi !
Expatriés de notre studio habituel, nous errons, l’âme en peine, dans les rues autour des Arènes. Et nous arrivons, un peu par hasard, devant les jardins du Muséum d’Histoire Naturelle. Nous pénétrons dans un labyrinthe de buissons circulaires qui inspirent notre photographe, et franchissons plusieurs barrières pour faire des photos interdites (nous serons jetés en prison à cause des Arènes de toute façon, pourquoi se fatiguer à respecter les lois ?). Nous montons (pour ma part, avec quelques difficultés, fruits d’une blessure guerrière à la jambe faite il y a une dizaine de jours) en haut d’une petite colline où nous faisons une dernière photo, et regagnons enfin notre salle du conseil de piraterie chez le Capitaine Héloïse d’Ormesson.
« Les pirates ont faim ! » crient nos estomacs. Cela tombe bien ; le Capitaine et ses matelots ont fait une escale au large des îles grecques pour nous confectionner un déjeuner parfaitement méditerranéen. Nous mangeons tous ensemble, notre équipage, le Capitaine, son Vice-Capitaine et notre guide, et échangeons nos dernières anecdotes sur le monde marin.
Il est maintenant temps d’enfiler nos habits de cérémonie ; nous rentrons à l’hôtel pour nous préparer. Puis l’équipage, composé de sept pirates fringants, se rend au Bazar de l’Hôtel de Ville, à la rencontre des Parisiens intéressés par les multiples aventures que nous avons à raconter. Nous devons nous tenir prêtes pour l’épreuve des dédicaces ; je saisis ma plus belle plume d’oie pour remercier tous ceux qui nous soutiennent durant notre quête. Les papyrus des curieux passent de main en main, chacune signe de son nom, désormais connu.
Le récit s’accélère, vous l’avez remarqué ; c’est parce que, bientôt, arrive le grand moment ; celui que nous attendons et redoutons depuis tellement de temps. Les dédicaces se terminent, et nous traversons la place pour nous rendre à l’Hôtel de Ville. C’est là que tout va se jouer. Nous foulons un tapis rouge de nos souliers abîmés par l’eau salée, et montons un grand escalier jusqu’à la salle du trésor.
La salle du trésor mérite bien son nom. De l’or, des lumières, des statues, des fresques, des dorures encore, tout brille de mille feux. Il nous est difficile de ne pas nous laisser distraire par tant de luxe. On nous appelle bientôt sur scène pour recevoir un exemplaire du journal dans lequel nos portraits seront publiés. Nous rencontrons en route ceux qui étaient là avant nous et qui ont tous réussi à s’emparer du Prix Clara : les anciens gagnants du concours de piraterie !
Peu à peu, la salle se remplit et je retrouve mes deux parents dans la foule. Hé, ce ne serait pas Jean d’Ormesson là-bas ? Mais si ! Par les charentaises de Barbe-Rousse ! Qu’un si grand marin ait fait le déplacement pour nous voir, quelle chance ! Quelqu’un s’approche de ma petite famille et moi et nous dit bonjour en coup de vent. Je lui réponds par réflexe, avant que mon cerveau ne se rende compte que celui que je viens de saluer nonchalamment n’est autre qu’Erik Orsenna. Décidément ! Le taux d’Académiciens au mètre carré augmente vite ici !
Je quitte une nouvelle fois ma mère et mon père pour rejoindre mon équipage. Le premier discours est celui d’Anne Hidalgo, maire de la grande cité. Elle parle avec justesse de la littérature, véritable moyen pour comprendre le monde qui nous entoure. Puis vient celui de Gilles Cohen-Solal, Vice-Capitaine du navire des Éditions Héloïse d’Ormesson ; il remercie les partenaires, les membres du jury (dans cet ordre, comme il le fait remarquer), et son Capitaine bien-aimé. « Comme c’est mignoooon ! » chuchotons-nous en même temps, Louise et moi.
Et c’est Erik Orsenna qui monte finalement sur scène. Le président du groupe de grands explorateurs qui ont lu et choisi nos récits d’aventures parmi six cents autres. Nous savons bien que lorsqu’il aura fini de parler, ce sera à notre tour. Et je sais aussi parfaitement que je serai la première à passer l’épreuve finale ; comme une espèce d’éclaireur qui assure le chemin pour sa fidèle équipe de matelots !
Erik Orsenna choisit de remercier en premier Jean d’Ormesson ; car, je cite, « même s’il ne fait pas partie du jury, sans Jean d’Ormesson, il n’y a pas Héloïse d’Ormesson, et sans Héloïse d’Ormesson, il n’y a pas le Prix Clara ». Après avoir salué l’illustre papa du Capitaine, il appelle les anciens lauréats, chargés de nous remettre à chacun notre clé pour accéder au trésor (sept clés pour accéder à un trésor ? Tiens, cela me rappelle quelque chose… J’espère que quelqu’un comprendra ma référence qui n’a strictement aucun lien avec la situation). Je sais que c’est mon tour, mais je reste scotchée au sol. C’est absurde, mais je veux attendre que l’on dise mon nom complet avant de monter sur scène. Et enfin… « Lucie ! Mais où est-elle ? Lucie ? ».
Et voilà. Je monte les quelques marches qui me séparent de la caverne d’Ali Baba. Mon crochet du dimanche et mes dents en or reflètent la lumière des lustres au plafond. En face de moi se trouve Irène, pirate confirmée, qui va me faire subir l’ultime épreuve, pour que je sache enfin si je suis digne de recevoir le Prix Clara. Elle tient le trésor, orné d’un ruban rouge, dans sa main ! Je suis si proche ! Je ne peux pas échouer maintenant !
L’épreuve se résume à une question. Une question qu’il est absolument impossible de prévoir, et dont on doit improviser la réponse devant une bonne centaine de personnes.
« Dans ta nouvelle, tu mets en scène un personnage avec de fortes convictions, auquelles il renonce à la fin. Qu’en est-t-il de la morale dans ton histoire ? »
Je bugge. Est-ce bien de mon histoire qu’elle parle ? Qu’est-ce que je suis censée répondre à ça ? Non, non, il ne faut pas paniquer maintenant. Mon instinct de pirate prend le dessus, et je réussis à formuler une réponse : « Pour écrire cette histoire, j’ai essayé de mettre de côté les idées de morale, de lois, et de me concentrer sur la relation entre les deux personnages. Je me suis libérée de la morale pour me concentrer sur l’hérédité. » (les « euh » en moins.) On m’applaudit. J’ai réussi !! J’ai réussi !! Je suis une vraie pirate ! Je n’appartiens à aucun monde, hormis celui de l’aventure ! Sans foi, ni loi, véritable bandit des mers !
Irène me tend le trésor : mon certificat de pirate confirmée, clé pour accéder à de nouveaux mondes merveilleux ! On me tend à nouveau le micro, dans lequel je dis « Merci. » (Pour une fois je décide de faire simple.) Je traverse la scène, j’aperçois notre photographe en chef qui me fait des grands coucous. Il veut ma photo avec mon prix dans les mains !
Je me place juste devant lui, bien droite, et… C’est le drame. Mes doigts dansent la salsa et je fais tomber mon prix. Par tous les monstres marins !! De quoi j’ai l’air maintenant ! Heureusement, Erik Orsenna fait diversion en appelant Anne-Lise pour qu’elle accède elle aussi à son trésor.
Je ramasse mon prix, reste trois secondes devant l’objectif, et m’enfuis sans demander mon reste dans le coin gauche de la scène. Oubliez-moi, pitié ! Si j’ai fait un si long chemin, est-ce que c’est pour faire tomber le trésor dix secondes après l’avoir trouvé ? Anne-Lise me rejoint finalement dans l’ombre, après être passée devant le photographe, et… Fait tomber son prix.
Qu’est-ce que c’est que ce délire ? C’est contagieux, ce truc ? Y aurait-il un virus « détrésoreur » qui traîne ?
Finalement, je lui lance un grand « Bienvenue au club ! » et nous éclatons de rire en regardant le reste de notre équipage subir son ultime épreuve. Nous sommes finalement les seules à être touchées par le virus détrésoseur. Un grand mystère. À moins que… Mais oui ! J’ai trouvé ! Nous étions toutes les deux habillées de vert, tel Molière lorsqu’il trépassa sur scène ! Voilà pourquoi les acteurs ne portent jamais cette couleur ; car depuis la mort du maître de la comédie, une malédiction touche tous ceux qui osent braver l’interdit et portent du vert lors des cérémonies. En véritables pirates que nous sommes, nous ne nous sommes nullement souciées des règles à suivre en matière d’habillement ; nous avons bravé les interdits, et en avons fièrement assumé les conséquences !
Malgré cette révélation, nous oublions bien vite l’étrange syndrome. Chimène est la dernière à recevoir son prix, et Erik Orsenna la félicite pour ses magnifiques souliers, ayant lui-même des chausses bien inhabituelles. La remise des prix se termine après le dernier discours, celui du directeur de l’ARCFA.
Nous redescendons au niveau de la mer et retrouvons nos familles. Les serveurs s’activent en tous sens, disposant de multiples plats sur de longues tables. Hum. Un buffet ? Pas mal, comme projet. À force de crapahuter toute la journée, l’idée paraît fort séduisante.
Oh, par le dieu pirate ! Est-ce bien ce que je crois ? Est-ce possible qu’à cinq mètres de moi, viennent d’apparaître les mythiques, les légendaires… Macarons ?
Allez les pirates ! Maintenant, c’est chacun pour soi !
« À L’ABORDAAAAAGE ! »
Les commentaires récents