Tout a commencé en 2014, lors de ma première participation. Évidemment, ça n'a pas marché cette année-là, sinon je n'aurais pas été à Paris le 4 novembre 2015, mais ça m'a quand même donné envie de recommencer, de réécrire une nouvelle et tenter à nouveau ma chance. Enfin, c'est ce que je me suis dit à l'époque : que j'allais m'y prendre bien à l'avance, construire quelque chose de précis et de bien réfléchi. Au final, 21 grammes, je l'ai écrite une semaine avant la date limite. Je suis encore sous le choc que ça ait payé d'ailleurs ! Et ce, depuis le 3 juillet, 16h04. J'étais devant la salle de l'oral du bac de français, à attendre une amie. 16h04, mon portable sonne.
Un numéro en 01 s'affiche.
Je pense tout de suite au Prix, n'ayant encore rien reçu par mail.
Je me calme un peu dans la foulée, histoire de pas m'enflammer pour rien. Si ça se trouve, c'est juste ma grand-mère.
Je décroche :
- Bonjour, est-ce que vous êtes bien Louise Ravitsky ?
- Oui ?
- Vous avez bien participé au Prix Clara 2015 ?
- Ouiii ?
- C'est bien vous qui avez écrit 21 grammes ?
- Ouiiiiiiiiii ?
- Je vous appelle parce que le jury a fini ses délibérations hier soir et vous êtes parmi les lauréats. »
124 jours plus tard, me voici à Paris pour la remise du prix. Et ça rime. Pour une fois, je n'ai pas rechigné à me lever. Pour une fois, j'ai « été du matin ». Un matin d'automne typiquement montpelliérain d'ailleurs : on s'attendrait à ce qu'il fasse très beau et encore assez chaud, ciel bleu et tout le tralala. Mais non. Pas le 4 novembre. Comme si ma ville m'avait dit « Oh non, tu pars déjà ? ». Oh oui, je partais déjà. À pied sous la pluie battante ; merci beaucoup Miss météo. On a eu droit au chauffeur qui roule dans une flaque d'eau, nous aspergeant aussi sûrement qu'un geyser au passage. S'il avait eu la fenêtre ouverte (ce qui, au passage, aurait été plutôt bête) il m'aurait entendue crier une joyeuse insulte. Mais passons, c'est accessoire tout cela. Enfin là, le parapluie ne l'était pas, accessoire.
Sur les coups de onze heures, j'arrive avec ma mère aux Éditions Héloïse d'Ormesson. C'est elle-même d’ailleurs qui nous accueille. Ça me fait deux petits chocs : le premier, de lui faire la bise et le second, de me rappeler une seconde trop tard qu'à Paris, on en fait deux et pas trois. Note à moi-même pour le reste de la journée : DEUX BISES ! Ça t'évitera ce moment gênant qu'on a tous connu où tu es en l'air et que l'autre s'est déjà éloigné. Telle fut ma première rencontre avec Héloïse D'Ormesson. Tamara est là, elle aussi. Un sourire accroché aux lèvres, qu'elle arrive encore moins que moi à retenir. Valentine me passe le sac avec mes dix exemplaires d'auteurs et c'est là que je touche pour la première fois notre couverture.
Je manque un battement. « Waouh. C'est vous ça. Dans le recueil du prix Clara 2015. Hier, ta mère t'a dit que c'était demain et tu ne l'as pas crue. C'est passé si vite… Tu pensais qu'en le touchant, ce livre, tu prendrais conscience de ce qu'il t'arrive, mais non tu planes encore bien à distance de tout cela. Tu t'es toujours dit que sur un malentendu ça peut marcher mais pousser le malentendu jusque-là ? Puis la publication tu n'y réfléchissais même pas. C'était inaccessible pour toi, c'était à part. Pourtant on te met le Graal entre les mains aujourd'hui. ». Voilà, c'est ce qui me traverse l'esprit à ce moment-là. Et plus tard aussi. Et pendant toute la journée en fait.
Pourtant, pas le temps de se poser et d'admirer le détail. Valentine nous traîne toutes les deux en direction des Arènes de Lutèce où les autres lauréates nous attendent déjà pour le shooting photo. On les trouve au détour d'un chemin ; toutes celles avec qui j'ai correspondu durant l'été. Anne-Lise, Elora, Tamara à mes côtés. La discrète petite souris Chimène, et ses chaussures roses, notre benjamine, avec qui je n'ai pas eu le plaisir de parler. Et puis Lucie et Marie, que je connaissais déjà de l'année dernière puisque j'avais alors discuté et échangé nos nouvelles via le blog. Des têtes inconnues dont je connaissais un tout petit bout de la plume, et donc un tout petit bout de personne – je n'irai pas jusqu'à m'avancer à dire l'âme. Mais dont j'ai découvert les yeux, le sourire, le visage.
Visage qu'a passé au crible notre photographe Gérard Cambon. Après chaque portrait on se disait toutes : « c'est stressant vous ne trouvez pas de le voir se rapprocher et s'éloigner comme ça ? ». Un objectif fixé sur nous de cette manière, on n'a pas trop l'habitude. On a participé caché derrière nos mots, nos personnages, notre histoire, le titre d'une nouvelle. Un anonymat qu'on nous vole d'une certaine façon ici et qui nous met un tout petit peu mal à l'aise. Et pourtant, on est heureuses d'être là. Rien qu'à voir le sourire qui ne s'efface pas de nos lèvres, malgré tous nos efforts.
Dix minutes après notre arrivée, alors que l'on commençait à peine les photos de groupe, une policière se pointe cigarette à la main et gestes rageurs. Elle demande à Gérard s'il a une autorisation pour prendre des photos dans un lieu public. Il répond que non, ça fait huit ans qu'il fait le shooting ici et que personne ne lui a jamais demandé d'autorisation. En un mot, on s'est faite virées de l'endroit. De cette altercation je retiens deux choses : la photo prise en une seconde de notre policière, et l'humour de Gérard qui prévient alors une famille dont les parents ont tous les deux un appareil autour du cou que c'est interdit de prendre des photos ici.
Le reste du shooting se passera dans le Jardin des Plantes, à deux pas, et où ce premier acte courageux qu'est de braver les interdits et la loi nous en inspirera encore d'autres… Taper la pose au-delà des barrières par exemple ! On notera la rencontre malencontreuse du mollet de Tamara avec les plantes qui piquent dans la jungle sauvage et dangereuse bordant le Muséum d'Histoire Naturelle de Paris.
Puis après quelques dernières photos dans le labyrinthe le plus simple du monde (une spirale…) rythmées par le grondement de mon ventre (eh oui, pas pris de petit déjeuner et debout depuis 6h!) il a fallu rentrer manger aux Éditions. Pas pour me déplaire. On se met à table avec Valentine, Héloïse d'Ormesson et Gilles Cohen Solal. Cette année, on a droit à des salades grecques (dont une au poulpe qui en a, au premier abord rebuté certaines), des brochettes, que Gilles a je pense bien appréciées, et un peu de tarama. À croire qu'ils avaient fait exprès pour notre camarade Tamara. À la fin du repas (dessert aux macarons ! Epic win, la légende perdure !), on appelait nos hôtes par leur prénom et les tutoyait.
Cela ne fait que renforcer l'impression que j'ai eue ce matin : ils sont accessibles. C'est fou de se rendre compte de ça non ? Ils sont là, en face de nous, et ce sont eux qui nous ont choisies pour être ici avec eux. Et pourtant, aucune espèce de hiérarchie. Les blagues s'enchaînent, on rigole, on nous offre deux autres recueils de nouvelles écrits par les auteurs de la maison d'édition. On parle des anciens lauréats, des futurs, de nos nouvelles, de la façon dont la sélection a été réalisée et dont eux se répartissent le travail pour les livres à publier. Les Éditions Héloïse d'Ormesson, c'est une famille. Tout le monde s'y tutoie. Et le Prix Clara y a une place importante, en tout cas aujourd'hui. En cela, nous aussi, nous avons été intégrées à cette famille. Plus tard, j'ai entendu un ancien lauréat dire que ce bureau, c'était un peu comme sa deuxième maison...
Ensuite, nous partons à l'hôtel nous changer. Nous avons une heure pour nous poser un peu et respirer, alors j'en profite pour appeler quelques-uns de mes amis… entre autres Théo, lauréat 2014. Bien sûr, comme je fais tout à l'ultime moment, c'est moi qui suis la dernière à revêtir ma belle robe pour aller faire notre séance de dédicaces au Bazar de l'Hôtel de Ville. Grande première pour les lauréats du prix, on inaugure ! Suivie juste après par la remise de prix à l'Hôtel de Ville et pas au Bazar cette fois-ci. Elora, Marie et Sarah, lauréate 2012, ouvrent le bal par une interview. Elles ont un micro à la main et on les entend dans tout l'étage. Mes co-lauréates s'en sortent comme des chefs et pourtant, cet été-même, Elora me confiait sa peur de parler en public…
Mais j'avoue ne pas écouter d'une oreille totalement attentive. D'autres lauréats 2012 sont aussi présents : Alexandre et Pauline. Plus une de mes amies, rencontrée sur le blog du prix. Nous discutons, nous discutons, je raconte le début de ma journée, parle un peu de ma nouvelle… Ris beaucoup aussi, mais ça c'est depuis ce matin. Étrangement, aujourd'hui je suis euphorique. Je ne sais trop pourquoi…
Puis la ronde des dédicaces commence. L'exemplaire de Pauline est le premier à passer sous mon humble stylo. Une certaine Kloé avec un K vient faire la queue elle aussi. Tous les livres des membres du jury y passent aussi, puis d'autres et d'autres et encore d'autres. Bizarrement, le poignet où j'ai eu le plus mal était non pas celui qui tenait le stylo mais celui qui gardait le livre ouvert. Enfin, je ne vais pas me plaindre de ma popularité d'un soir.
Et il est venu le temps… des cathédrales ? Non de la cérémonie ! Ahem. Moi qui n'avais jamais vu l'Hôtel de Ville de la capitale j'en suis bluffée. Détecteur de métaux à l'entrée. Puis on arrive devant un immense escalier digne de Poudlard, si ce n'est que la porte d'en haut est éclairée aux couleurs du drapeau français et je ne peux m'empêcher de chantonner la marseillaise dans un élan pas commun et très ironique de patriotisme. Des panneaux nous indiquent où aller pour la réception du prix Clara 2015 et encore une fois j'ai un choc. J'en fais partie, moi, de tout ça ? La salle qui nous est prêtée se dévoile à moi. Réitération de la question, que la petite voix dans ma tête me crie presque. La pièce aux dimensions de géants est entièrement décorée de peintures, dorures, moulures et autres trucs très très luxueux qui finissent en -ures. Je marque une pause et me retourne vers ma co-lauréate la plus proche. « C'est pour nous, ça ? Attends, c'est pas possible, pince moi. » Pourtant j'y étais bien.
Pas le temps de s'extasier plus que ça : M6 arrive pour m'interviewer avec Tamara – interview qui, comme l'année précédente ne sera pas diffusée. On aura quand même notre tête au journal du lendemain, mais c'est Erik Orsenna qu'ils retiendront.
Et enfin, les portes s'ouvrent et la cérémonie commence pour de vrai. Tout s'enchaîne si vite… La photo/bise avec Anne Hidalgo, Maire de Paris, même chose avec Erik Orsenna (dont j'ai réussi à tirer une dédicace sur un de ses romans un tout petit peu plus tôt). Et tout le monde monte sur scène. Anne Hidalgo nous fait un discours magnifique, Erik et Gilles nous font rire… C'est au tour d'anciennes lauréates de prendre le micro et de nous appeler une par une pour nous donner notre diplôme et nous poser une question sur notre nouvelle. Le stress n'a même pas le temps de monter, tout se passe tellement vite… Aussi rapidement que ça a commencé, nous sommes applaudies et redescendons à la même vitesse de l'estrade. S'en suit d'autres dédicaces et d'autres rencontres (anciens lauréats ou pas). Et la soirée s'achève sans avoir eu le temps de dire ouf. Après deux mots à une journaliste, je pars avec les lauréats restants pour l'after en bus pour un Paris by night…
J'aimerai conclure sur la rapidité de cette journée : pas le temps de fixer chacune de ces minutes si précieuses dans la mémoire, pas le temps d’atterrir réellement… À vrai dire, pour moi le 4 novembre était encore dans un siècle ou deux. Il est pourtant arrivé comme ça, d'un coup. Je ne l'ai pas vu venir. Théorie de la relativité d'Einstein, n'est-ce pas ? Tout le temps que j'ai passé devant mon calendrier à barrer les cases est passé avec une lenteur extrême, mais le jour-J lui, il a pris le TGV. Alors deux, trois petites choses avant de vous laisser tranquille :
Si vous vous éclatez à écrire, vous avez déjà tout gagné. Soyez de temps en temps un peu égoïste ! Vous écrivez d'abord pour vous, vous êtes votre premier public et celui ou celle qui reçoit ce plaisir directement. Alors faites ce qu'il vous plaît !
Je suis encore tout ça avec beaucoup de distance. Dans tous mes souvenirs je me sens encore éloignée du livre, de la journée. Un jour ça fera tilt, peut-être l'année prochaine quand je ne ferai plus partie de la dernière génération.
En tout cas, je dis à l'année prochaine à tous ceux qui connaissent le Prix Clara. Puisse-t-il d'ailleurs encore longtemps exister pour ainsi offrir le plus grand cadeau à deux types de personnes : les écrivains en herbe qui se voient publiés et les patients qui profitent directement des dons à l'ARCFA.
Cette journée, c'était un nuage.
Super récit de cette journée merveilleuse! Et merci d'avoir évoqué l'ortie qui m'avait piquée, mais ça en valait bien la peine, vu les belles photos que ça a donné ^^ bisous et à l'année prochaine!
Rédigé par : Tamara | 03 février 2016 à 18:24
J'y repense : il me semble que légalement, on a le droit de faire des photos de n'importe quel monument du moment qu'il n'apparaît que comme décor, et que quelqu'un d'autre est devant. A vérifier, mais à signaler à Gérard pour qu'il continue à prendre des photos dans les Arènes qui font quand même un décor plus que sympathique ! :D
Rédigé par : Elorn, lauréat 2013 | 27 décembre 2015 à 19:51
<3 <3 <3
Rédigé par : Wana | 15 décembre 2015 à 22:07
Jamais <3
Oui oui c'est en rapport à ça ahah mais je pouvais pas non plus le mettre en entier x) (je fonds et je suis toute rouge là <3)
Rédigé par : Trish/Louise (2015) | 15 décembre 2015 à 21:37
Un nuage, oui c'était exactement ça. Et ce qui est beau c'est qu'on en descend jamais vraiment...
Tiens, ça me fait penser à un des poèmes que tu as écrit... ;) (j'ai tout lu. Et juste, bravo. Je suis à jamais amoureuse de ton écriture.)
A l'année prochaine évidement !
Rédigé par : Anne-Lise | 15 décembre 2015 à 20:17