Il y a eu l’appel, inespéré. Les larmes, les e-mails, les corrections, le programme de la journée, 6h de train depuis la Suisse. Quatre longues années de travail, de persévérance, d’attente, pour aujourd’hui, pour cette soirée. Pourtant, ce matin-là, je peine encore à réaliser ce pour quoi je suis là. Mon réveil sonne tôt et les minutes s’égrènent, sans que je me rende vraiment compte qu’il est l’heure et qu’il est temps de commencer cette journée irréelle.
Les étreintes, les sourires, les cris de joie des personnes avec lesquelles j’ai conversé pendant ces quatre derniers mois. Un briefing sur la journée, le sourire ébahi, avant de tenir le recueil entre mes mains. De commencer à signer et réaliser que ces mots imprimés sur le papier, ce sont les miens. Les nôtres. Notre histoire, nos personnages, nos rêves. Alors j’essaie de griffonner quelques mots et c’est étrange de devoir, pour la première fois, dédier mon histoire à un inconnu.
La séance photo débute en compagnie de notre incroyable photographe. Personne n’ose commencer, on me pousse en avant au hasard. Il tente de me détendre et d’effacer le sourire timide et crispé des premières photos, puis au fil des poses il est trop tard pour réfléchir à la tête que j’ai vraiment. Les photos s’enchaînent dans les Arènes de Lutèce.
Il est temps de manger, mais la pause est courte puisque bientôt Victor, Maélis et moi-même sommes interviewés pour RTL pendant une bonne vingtaine de minutes (et je ne leur pardonne toujours pas de m’avoir désignée simultanément pour répondre en premier). Je me souviens de cette étrange complicité, des langues qui se délient lorsque le micro nous est tendu, des rires qui résonnent.
La séance photos se poursuit et se termine sous le soleil timide qui pointe enfin le bout de son nez en milieu d’après-midi. Quelques clichés volés pendant une attaque de câlins sur notre (pauvre) Victor finissent la séance en beauté. Une demi-heure (qui déborde un peu) le temps d’aller se changer, puis c’est en tenues de soirée que nous nous rendons à la librairie Gibert Jeune. C’est incroyable. Les sourires fiers de mes parents, ceux chaleureux de nos prédécesseurs ici pour nous accueillir, les mimiques curieuses de quelques passants… c’est une première expérience que l’on n’oublie pas : la galère des recueils qui se succèdent sans relâche et dans lesquels on peine à se retrouver… Une heure et demie intense, qui est passée en un quart d’heure.
La nuit est belle dans Paris. C’est la seule chose que j’arrive à me dire en marchant vers l’hôtel de ville et je reste bouche-bée devant l’édifice. Comprenez, peut-être bien que je n’avais pas réalisé l’ampleur de ce concours avant de voir ce qui avait été réservé… pour nous huit ? Je rencontre plusieurs de nos prédécesseurs mais n’ai pas tant le loisir de discuter : on nous emmène sur scène pour une photo. UNE photo, ils avaient dit. Je retiens mon souffle devant la foule, des personnes qui se rassemblent d’un coup devant l’estrade et brandissent une multitude d’objectifs. Je n’ai pas le temps d’avoir peur. J’inspire : rester droite, sourire. Ne pas tomber, surtout. Les rencontres exceptionnelles se multiplient, dont Erik Orsenna en personne. Mais nous n’avons pas le temps d’être intimidés puisque nous rions déjà en sa présence. Vient alors notre passage sur scène. Comme nous sommes appelés dans l’ordre des nouvelles, je suis propulsée sur scène sans vraiment savoir ce qui allait exactement se passer. J’espère trouver les mots justes à la question posée, impressionnée par le nombre de personnes présentes, et je crois que je ne m’en sors pas trop mal. Léger pincement au cœur malgré tout quand je cherche mes parents du regard mais ne les trouve pas, masqués par la foule.
Les photos s’enchaînent et le reste de la soirée se passe un stylo à la main, assis sur le bord de l’estrade, à voir les recueils et les visages se succéder. Pour nos histoires, et je n’en reviens toujours pas.
Pourtant le lieu se vide (déjà ?) et nous nous mettons en route vers la petite salle souterraine d’un bar à la lumière tamisée. Les membres de la grande famille du Prix Clara se présentent et alors je peux mettre un visage sur les auteurs des nouvelles que j’ai longuement admirés. Je signe encore quelques recueils avant de tendre ceux des années précédentes pris avec moi aux anciens lauréats présents. Je suis admirative et ravie.
Mais la soirée se finit. Trop vite. Pour moi l’aventure ne s’arrête pas tout à fait puisque j’ai rendez-vous le lendemain avec quelques-uns d’entre eux pour une journée entre lauréats, où je serais malheureusement la seule 2017 présente. Cela ne m’empêche pas de déjà me sentir nostalgique de ces heures enivrantes que j’aurai espérées pendant si longtemps.
Cette journée irréelle se termine avec entre les lèvres la saveur de ces rêves qui nous reviennent par fragments miroitants. C’est un tourbillon de couleurs, de sons ; mosaïque de tessons qui s’entrechoquent et étincèlent, d’éclats de verres qui repassent sous mes yeux clos. Les sourires, les étreintes, les photos, les fous rires. C’est le genre de journée que l’on n’a pas le temps de savourer. Non, on la vit, on la ressent, vive et incroyablement réelle. On est dans l’instant. Comme une perfusion d’adrénaline pure, une course haletante dans un intervalle de temps qui semble se ralentir et passer beaucoup trop vite en même temps. Puis finalement c’est ivre de ce tourbillon que je m’endors, exténuée.
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