Ce n’est que lorsque l’exemplaire touche mes mains que tout se concrétise. Le temps remonte.
Je me revois soudain, trois mois plus tôt, assise sur le lit inconfortable de la petite chambre de vacances, mon téléphone collé contre mon oreille, à répéter ‘merci’ d’une voix blanche.
Je me revois répondre aux mails des éditions, je me revois imprimer les contrats, corriger mon texte, écrire l’introduction.
Je me revois rire avec Amélie, Chloé, Victor, Corinne, Kebab (Gabrielle, pardon), Lilou et Claire sur le groupe WhatsApp.
Je me revois relire mon texte et le trouver terriblement mauvais.
Je me revois écrire ma nouvelle un soir, dans ma nouvelle chambre inconnue, les poings enfoncés dans mes yeux pour tenter de faire disparaître mon lancinant mal de tête. Je me souviens avoir regardé si l’échéance était passée. Je me souviens avoir supprimé deux fois ma nouvelle avant de la récupérer dans la corbeille, dégoûtée.
Je me revois lire le mail de refus pour ma candidature de 2016. Je me souviens de la honte que j’avais ressentie. Je me souviens de cette promesse que je m’étais faite de ne plus jamais avoir à supporter ça.
Je me revois envoyer ma nouvelle en 2017 en me répétant de ne pas y croire pour ne pas être déçue.
Je me revois me réveiller en sursaut ce matin, persuadée d’être en retard pour aller en cours. Puis je me rappelle que je suis dispensée, aujourd’hui.
Aujourd’hui, le train m’emmène bien plus loin que d’habitude.
Je crois qu’il ne servirait à rien de vous décrire mon trajet en métro, à moins que vous ne vouliez absolument savoir que je me suis perdue cinq fois.
J’arrive la première aux éditions, on me donne un exemplaire, et malgré un gros effort pour me contrôler, je ne parviens pas à m’empêcher de loucher sur le titre de ma nouvelle. Une dizaine de minutes plus tard, les autres lauréats arrivent (enfin, à part Chloé qui est bien sûr en retard, hein Chloé ?). Nous dédicaçons à divers personnalités sans importance (Emmanuel Macron, vous connaissez ? Non, je plaisante…). Chacune cherche la formule parfaite (mais non, chacun, je plaisante Victor !) et la paraphrase à volonté. Nous filons ensuite faire des photos dans le froid mordant. La première volontaire pour se faire photographier est Amélie (oh, on l’a peut-être un peu poussée…), puis vient notre tour. Nous sourions tour à tour tant bien que mal à l’objectif en nous dandinant d’un pied sur l’autre, puis, alors que nous avons failli nous faire écraser plusieurs fois et que les bouts de nos doigts sont bleus, nous rentrons manger.
Le début du repas se passe normalement, mais, vers le milieu, on commence à nous expliquer comment va se dérouler la journée, et nous perdons progressivement l’appétit.
Mais pas le temps de stresser ! Dès le repas fini, je suis emportée avec Amélie et Victor pour répondre aux questions de Bernard Lehut qui nous enregistre pour RTL. Beaucoup moins intimidant que ce que je pensais, nous passons notre temps à nous jeter des regards complices en pouffant (ah, immaturité, quand tu nous tiens), puis nous filons à Gilbert Jeune pour dédicacer à nos fans venus du monde entier (nos parents, en gros). Finalement, on a eu tellement de succès que l’on a manqué d’exemplaires à vendre. Cette notoriété, quoi.
Nous regagnons ensuite les éditions sans traîner et filons nous changer dans les chambres d’hôtels des lauréats venus à Paris pour l’occasion. Mascara, collants, chaussures à talons et broches dorées, tout passe devant mes yeux tandis que j’enfile une simple veste, un peu dépassée par toute cette agitation devant le miroir. Enfin, nous sommes toutes et tous prêts, et nous pouvons partir. Et vite, car on a encore réussi à se mettre en retard ! Nous plaisantons sur le chemin pour oublier notre appréhension, mais la vue de la mairie nous laisse sans voix (enfin, surtout les campagnards, hein… Moi, en bonne parisienne, je ne suis même pas impressionnée…). Nous passons le portique de sécurité et déposons nos affaires au vestiaire, puis entrons dans la salle du prix Clara. Attendez…tout ça c’est pour nous ? On nous annonce que la cérémonie commencera à 19h30, dans une heure, donc juste le temps pour préparer nos deux minutes de parole. Mais c’était sans compter les photos, les dédicaces, les saluts de circonstance et les discussions interminables avec nombre de gens dont j’ai oublié le nom, et voilà que d’un coup, l’heure a filé, et je suis projetée sur scène. On me pose la terrifiante question, à laquelle je réponds tant bien que mal. Mais vous allez rire, je ne me souviens absolument pas de ce que j’ai dit. Je me souviens seulement d’avoir commencé par ‘Tout à fait, tout à fait, je prends tout à fait position en ce qui concerne la question des migrants…’ et d’avoir conclu par ‘…faire changer les choses.’. Depuis, je me colle le surnom de ministre. Génial.
Je n’ai pas mangé depuis le repas stressé de ce midi, et, pendant quelque secondes, je crois pouvoir accéder au buffet, mais les photos repartent, puis les dédicaces et les saluts et les discussions et les sourires et- ouf ! Une fille adorable m’apporte à manger et à boire (j’ai oublié ton nom mais sache que je t’aime) tandis que je dédicace des exemplaires sur un bout de table. Enfin, nous récupérons nos affaires et suivons Pauline, une ancienne lauréate, jusqu’à un sous-sol de bar réservé riiiiien que pour nous. Nous mettons un quart d’heure à trouver la solution pour augmenter la lumière et baisser la musique, puis nous pouvons enfin nous poser…ah, non, mes chers amis lauréats veulent qu’on dédicace des recueils pour leur famille. Nous parlons avec les anciens lauréats, dont les 2015, seul recueil que j’ai lu (et que je porterais toujours dans mon cœur). Puis, après un tour de table où nous parlons un peu de tout, je serre tout le monde très fort dans mes bras et prends un taxi. J’arrive comme un zombie chez moi et tombe de fatigue. Mais déjà, six petites heures plus tard, le réveil sonne… Dur, dur, la vie de star.
Finalement, cette journée est, comme tout, passée trop vite et je donnerais beaucoup pour la revivre encore une fois.
Rien que pour les macarons que je n’ai pas eu le temps de manger.
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