Voici un très beau texte à découvrir au sujet du Tarmac des hirondelles de Georges Yémy, en librairie depuis le 6 mars. Marine Piriou, qui en est l'auteur, est critique littéraire et jurée du Prix Senghor. Elle tient un blog littéraire fort intéressant où elle nourrit "une réflexion sur l'origine, la mouvance et les enjeux des lettres de langue française" qu'elle considère comme autant de représentations du réel francophone.
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Enigmatique, la singularité bicéphale du titre de la dernière création de Georges Yémy, Tarmac des Hirondelles[1], intrigue. Et pour cause. En une sonorité poétique qui transporte déjà le lecteur vers un autre univers - celui de l’Imaginaire -, deux vocables s’y opposent puis fusionnent pour donner naissance à une totalité qui serait celle de notre monde. La friction de ces mots suffit ainsi à rompre la ligne de force manichéenne : la Nature se retrouve tout à coup en interface avec l’artefact ; le ciel estompe la tangente terrestre ; la grâce de l’envol appelle l’angoisse de la chute. Ce titre annonce de ce fait un récit janusien, fondé sur une dualité propre à notre réalité. Le roman s’apprête donc à nous délivrer une histoire ambiguë, oscillant dans l’entre-deux des pulsions antagonistes d’Eros et de Thanatos, comme l’indique subtilement, tel un oxymore, le péritexte de la première de couverture : « Tuer est un jeu d’enfant. Je ne suis pas la mort, madame, je suis même la vie ».
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Cette citation, marquée d’un certain machiavélisme, contient en son sein les trois éléments primordiaux sur lesquels repose la narration dont l’écho fictionnel nous renvoie indubitablement à la grande Histoire, non seulement du continent africain, mais aussi et surtout de l’humanité dans sa globalité[2]. Ces trois piliers, à savoir les guerres fratricides, l’enfance volée et le nécessaire regain, constituent en effet les tristes leitmotivs de notre ère dite civilisée. Yémy nous le démontre ici d’une façon magistrale au point d’en heurter la sensibilité du lecteur qui, affecté par la description de certaines scènes dont la cruauté n’a malheureusement d’égale que le réel des multiples génocides qui ont meurtri l’Afrique depuis le 16ème siècle, se doit de ponctuer sa découverte du texte de moments de réflexion pour mieux en appréhender le dessein. La prise de distance est un précieux outil révélateur de sens. L’auteur l’a lui-même compris ce qui explique l’interpénétration continuelle de la fantasmagorie, de la mythologie et des références historiques tout au long du récit.
En définitive, Tarmac des Hirondelles est, à l’instar de Suburban Blues[3], une œuvre apocalyptique qui dépeint, et dénonce avec puissance et conviction, la réalité chaotique de notre temps, en particulier celle d’un royaume d’enfance annihilé par des conflits belliqueux dont les raisons échappent à l’entendement. Cependant, outre la présentation détaillée, pourtant quasi indicible, des traumatismes physiques et psychologiques de l’enfant-soldat prisonnier de l’enfer dictatorial, ce livre dévoile « les prémices d’une nouvelle aube[4] » comme en témoigne son excipit lumineux, point d’orgue transcendant d’une quête identitaire jusque-là stérile :
dans ce paysage qui paraissait peu à peu s’organiser en une nouvelle harmonie, se parant d’une beauté donc le sang coulait encore lentement au coin des lèvres. Je soupirai à nouveau. Alors je vis qu’il était marqué dans un coin de l’écorce [de l’arbre du champ forestier], quelque chose que je lus et compris au-delà de ce qui était exprimé. À la lame de quelque canif, il était simplement inscrit :
Souviens-toi de ce qui vient
Entre et garde foi
Car rose croît[5]
La filiation biblique du texte de Yémy est par conséquent explicite et ne serait sans rappeler la théorie de la généalogie littéraire de Northrop Frye[6]. Un lien intime unit inéluctablement Tarmac des Hirondelles à L’Apocalypse du Nouveau Testament, la révélation - source de régénération - étant la finalité de ces deux livres à la croisée du profane et du sacré. La signature[7] de l’auteur n’en est-elle pas d’ailleurs la plus belle preuve?
[1] Georges YÉMY, Tarmac des Hirondelles, Paris, Ed. Héloïse d’Ormesson, 2007 [2] Muna, le personnage principal n’est-il pas albinos, c’est-à-dire un être-mosaïque représentatif non plus d’un peuple sinon de la communauté humaine toute entière ? [3] Id., Suburban Blues, Paris, Ed. Robert Laffont, 2005 [4] op. cit., p.13 [5] op. cit., p.287 [6] Northrop FRYE, Le Grand Code. La bible et la littérature, Paris, Ed. du Seuil, 1984 [7] Ω α ʊ ∞
Ben pour mardi ça va pas être possible (faut que je travaille pour la présidente!!!)
Rédigé par : didier jacob | 04 avril 2008 à 11:25