Souvenez vous...
Il n' y a pas si longtemps...
J'écrivais une note sur François Nourissier.
Je ne vais pas vous la refaire mais je disais que le monde qui lui avait mangé dans la main se détournait de lui maintenant qu'il n'avait plus de pouvoir...
Qu'il était seul et abandonné...
Que vraiment il n' y avait aucune reconnaissance dans ce milieu...
Et franchement que c'était honteux de laisser un homme de son âge, dans sa situation physique, se démener face à la grande faucheuse...
Que finalement nous étions tous des "salauds", des ingrats et des ignobles , quasi...
Et voilà que , Stupeur et Tremblements (merci Amélie pour l'utilisation du titre), je m'aperçois que pendant que j'écrivais tout cela appelant à la compassion, voir à la charité chrétienne, cet homme s'apprêtait à publier un livre...
Pas de problèmes.
Et je découvre ce qu'est le livre...
Les dernières années de la vie de sa femme (Cécile) et de la longue déchéance de celle ci , selon F.Nourrissier, due à l'alcoolisme...
Là encore nier l'alcoolisme de Tototte (le surnom de Cécile) serait faux.
Tout est dans les faits, les causes et les conclusions...
Je me garderai bien de faire porter le chapeau à qui que ce soit.
Je n'ai pas peur de mes opinions, pas plus que de celle des autres d'ailleurs...
Mais l'explication et l'interprétation données par F.Nourrissier sur les dernières années de la vie de son épouse sont largement sujettes à caution.
Nous nous sommes vus suffisamment et dans des circonstances variées pour que je vous dise que le récit qui vous est livré tant des faits ,que les critiques qui vont sortir ne mentionnent en aucun cas la douleur de cette femme qui contrairement à ce qu'en dit son mari à passer plus de temps à s'occuper de lui qu'à faire autre chose...
Qu'elle a sacrifié sa relation avec leur fille unique à cause de lui et que si elle est morte d'alcoolisme, je vais vous dire une chose : c'est vrai mais je connais le nom du barman!
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LIVRES
27/03/2008 N°1854 Le Point
Culture - François Nourissier - Le gardien des ruines
François Nourissier s’est retiré de l’académie Goncourt et publie le 10 avril, chez Gallimard, "Eau-de-feu", dont le titre fait écho à son premier roman, "L’eau grise". C’est le récit d’une descente aux enfers : alcoolisme d’une femme, la sienne, et agonie d’un couple, le sien. Nous avons rencontré le grand écrivain chez lui. Un moment bouleversant.
Jacques-Pierre Amette
© AFP
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« J’ai poussé l’expérience très loin, il faut aller jusqu’au bout... », murmure François Nourissier, notable et commandeur de notre Littérature française. Il a déclaré le 8 janvier, solennellement, qu’il n’irait plus siéger à la table des Goncourt, pour raisons de santé. L’auteur de « L’empire des nuages » n’est plus ni président du Goncourt ni pape de la critique littéraire. L’homme devant moi est aujourd’hui un haut vieillard enveloppé dans la demi-pénombre d’une salle de séjour. Le pavillon où il habite dans le XVIe arrondissement respire la mélancolie avec ses canapés vides, ses meubles bien époussetés, un lourd fauteuil rouge genre trône sorti d’un curieux Escurial. L’écrivain porte une sorte d’étonnement lent quand on le questionne, car il baigne dans une rumination solitaire. Le corps, immense, se déplie pour passer d’une chaise à un fauteuil. La chevelure blanche et la barbe font penser à un patriarche russe, à un Tourgueniev qui aurait enfilé un vieux polo noir pas boutonné, un pantalon large, froissé, de patron de chalutier. Les pieds d’ivoire pâle sont nus dans des mules aplaties par l’usage. Travailleur sculpté par Rodin et forçat du papier, Nourissier s’arrime à sa tâche : se souvenir, témoigner, expliquer, préciser son dernier ouvrage, « Eau-de-feu ».
Il parle avec précaution, multiplie les pauses, mais la ligne du propos ne se brise jamais, tracée comme au crayon avec une rectitude étonnante. L’oeil est bleu, pâle, humide, avec des fulgurances perçantes qui viennent par en dessous. La paupière a tendance à baisser pour méditer des choses lointaines, confuses, douloureuses. Le regard étudie et inspecte plus qu’il ne regarde. Dans un long silence, l’écrivain patrouille dans le pêle-mêle des souvenirs. Il écoute des bruits de délabrements qu’on n’entend pas. Doublement isolé par des drames familiaux, la mort de sa femme et sa maladie de Parkinson, l’homme rencogné, accroché aux bras de son fauteuil, les mains noueuses, parle de son livre terrible. C’est le récit vécu d’une saison en enfer. L’enfer qui consiste à voir la femme aimée sombrer dans l’alcool, et la tentative pour l’aider, l’accompagner, la sauver. Le calvaire a duré près de six ans. Bien que le personnage masculin du livre s’appelle Burgonde (personnage de peintre dans le roman « L’empire des nuages », écrit en 1981, et double de l’auteur...) et bien que l’épouse soit nommée Reine, il s’agit d’une autobiographie au sens le plus classique.
« Eau-de-feu » est l’observation clinique d’une déchéance. Quarante ans de vie conjugale s’achèvent dans la débâcle d’un alcoolisme qui n’a plus rien de mondain. C’est la biture suicide. Ecrit en spirale et retours, le récit ne retranche rien. La cachette de bouteilles dans les placards, sous du linge, le gin bu au goulot dès le matin. Et même, dans la salle de bains, où il doit retirer l’eau de Cologne, les solutions de terpine codéine ou les flacons de Synthol...
Le récit est âpre, lancinant. On absorbe un texte audacieux, sans cloison rassurante entre pudeur et impudeur. La scène d’un veuf qui manipule la télécommande à la recherche de pornos est sidérante.
Dans « Eau-de-feu », tout est sec, économie de moyens, densité, exigence, clarté. Parfois, la langue se permet une cabriole avec quelques mots d’argot venus des années 50.
La description des passages en clinique, avec rémissions, embellies rares, rechutes, visites en banlieue dans les chambres à grillages, tout cela est un procès-verbal rédigé dans une prose accrocheuse et ductile.
Mais l’alcoolisme n’est pas le vrai sujet du livre. Le vrai, c’est l’agonie d’un couple. Comment sa fêlure devient fissure puis béance. Comment un couple de légende entre dans un paysage dévasté à coups de soirées aux silences épais. Comment lui guette le crescendo torturant de la violence alcoolique qui couve, comment les confidences se dérobent, comment la plus gamine des épouses se referme à la façon d’une sauvageonne ricaneuse. Pour traquer ce qui se tait, noter les bouderies, les lassitudes, les compromis, Nourissier est un chroniqueur impitoyable. La manière dont Reine lance un rire gouailleur au milieu d’un dîner avec invités gênés, c’est raconté en perfection. Devant nous, un couple jaunit, un couple atteint son étiage.
Quelles faiblesses se sont tapies dans les printemps et les étés de ce couple à sandalettes, à terrasses sur le Luberon, à piscines, à bastides, à pinèdes, à palazzi vénitiens ? Pourquoi la fête a-t-elle tourné au drame et à la clinique ? Tout l’ouvrage est tapissé de ces questions. Il y a une recherche en culpabilité comme il y a des recherches en paternité. Ce livre fait écho au premier roman écrit par Nourissier, en 1951, qui s’appelait « L’eau grise ». On y parlait déjà de la solitude humaine, de l’impuissance des couples. Quelle terrible ironie à cinquante-sept ans de distance !
Les Polaroid des jours heureux sont découpés dans des paysages ensoleillés, mais ils visitent un vieil homme dans ses insomnies. Et le mystère reste entier. Projection dans le néant. Un noir.
« Ma plus constante pensée tourne aujourd’hui autour de la mort, de mon cheminement vers elle par cette manière d’étouffant tunnel qu’ont creusé dans mon reste de temps les infirmités, dégradations, renoncements, impuissance, désormais mon lot. Je suis enfermé dans une soustraction », écrit Nourissier dans un formidable début de chapitre.
Que reste-t-il ? Une machine à écrire avec sa housse sur un étroit bureau. Des piles de livres lus et d’autres pas encore lus, des gélules dans quelques tiroirs et la question : comment meubler les terribles heures du soir ?
Il y a une brisure Nourissier. Il ne la cache pas, il l’écrit et la montre. Il nomme la fatigue et les moments de confusion mentale, tout ce bazar de l’âge qui ne retient plus rien. Ce qui frappe dans ce cas particulier, c’est le courage de lucidité, la rédaction, à bout de souffle, de cette « vie offerte et gâchée » -pour reprendre ses termes. Implacable investigation tenue jusqu’aux abords du rivage du grand nulle part. Un homme s’est mis à nu devant nous en pulvérisant dans son oeuvre, depuis 1951, le rôle de l’homme officiel qu’il tenait par ailleurs dans la comédie littéraire...
« Eau-de-feu », de François Nourissier (Gallimard, 182 pages). Mise en vente le 10 avril
VERBATIM
Sur « Eau-de-feu »
« Je n'ai pas voulu raconter une crise d'ébriété dans un couple, écrire un de ces livres moitié désespérés, moitié drôles, souvent émouvants, d'ailleurs, que suscite ce genre de situation. Cela donne beaucoup plus de mesure. C'est peut-être lâche, mais ma question était : comment peut-on survivre, peut-on réexister après cela ? Je n'ai pas compris... J'étais quelqu'un d'assez calme, d'assez composé. Je suis toujours calme, mais plus du tout composé. »
Sur la mort de sa femme
« Je suis rentré chez moi, j'étais devenu quelqu'un d'autre. Je ne parlais plus de la même façon, je ne trouvais plus mes mots. J'avais pris un énorme coup sur la tête. Sans coup. Ensuite je n'ai pas écrit une ligne, je ne pouvais pas. D'autant moins que j'ai été confronté à un second drame prenant le relais du premier, la mort de mon fils aîné d'une tumeur cérébrale à l'évolution foudroyante. »
Sur l'alcool
« L'alcool a été le déclencheur, le moteur, la perdition. La crise a duré approximativement quatre ou cinq ans. Ces années-là, je ne sais pas où elles sont passées, je ne sais pas quand et comment elles se sont passées, même s'il y a eu des moments de répit, des instants parfaitement rieurs et contents quoique rodât constamment la menace d'une explosion. Je n'étais pas préparé. Je n'accuse personne là-dedans, même pas moi. Je ne savais pas à quel point l'alcoolisme pouvait être terrifiant, je ne savais pas l'horreur qui vous saisit quand on voit un être aimé se détruire consciemment, volontairement. L'autre chose abominable, c'est que les malades, les alcooliques puisent dans l'alcool la force de dire la vérité et celle de mentir, ou plutôt celle de construire avec leurs mensonges une vérité qui leur est propre et qui t'enferme. Et même cela est à nuancer, parce que cela ne parle pas beaucoup aux autres. Les alcooliques, ça se parle à soi-même, ça parle tout seul... »
Sur son travail
« Quand je travaille sur mes propres textes, je trouverais scandaleux de ne pas en retirer les quatre cinquièmes. Au tout début, j'étais moins pointilleux. "Bleu comme la nuit " [NDLR, le quatrième roman de François Nourissier, paru en 1958], a même été fabriqué comme les chaussures Bata, c'était une révélation d'artisan. C'est le seul de mes livres que j'ai écrit à la main, d'une seule traite. Désormais, je me sens comme un cycliste. Il y a des moments où je décolle, ce sont les plus intéressants. Et puis je les trouve ratés, je les déchire. Il m'est arrivé certains jours d'accumuler quarante démarrages, quarante incipit, tous destinés, en principe, à la même première page. Est-ce l'âge ? En tout cas, ce n'est pas de la lassitude, plutôt une espèce de fatigue énorme. »
Sur l'impudeur
« Pour écrire, il ne faut jamais, jamais avoir le sens du ridicule. Les grands ne l'ont pas. »
Sur la critique littéraire
« Pour moi, les risques étaient plus grands que les bénéfices. Cette abondance de livres à lire... Il y avait aussi de la rigolade, le côté "c'est une petite affaire qui roule", comme on dit d'une aventure légère, ou, si vous préférez, "une poire pour la soif". C'est pourquoi j'ai toujours refusé qu'on publie un recueil de mes articles. On me dit parfois que certains d'entre eux ont eu une répercussion sur les auteurs et leur oeuvre. Peut-être, mais en vérité tout cela a été fait dans une grande inconscience. Cela dit, je ne crois pas m'être souvent trompé. Surtout, je me suis bien amusé. »
Sur le milieu littéraire
« Ma seule intelligence a été d'être là. Et de durer. Les gens ne mesurent pas à quel point j'étais paumé, loin du compte à mes débuts. Et puis, vers 1954, j'ai commencé à comprendre la comédie littéraire et à rire. »
Sur l'âge
« "Le gardien des ruines ", le titre d'un de mes livres, est incroyablement prémonitoire. Le gardien, c'est moi. J'ai compris que, sur le plan intérieur, il ne faut jamais laisser debout ce qu'on peut laisser couché. Je m'éloigne, je ne veux de mal à personne, des fossés se creusent, mais je continue de parler, c'est mon histoire, c'est à moi de la raconter. Moi seul. » Propos recueillis par Marie-Françoise Leclère
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