L'intégralité du "chat" entre Patrick Kéchichian du "Monde des Livres" et ses interlocuteurs.
Des questions intéressantes, des réponses qui ne le sont pas moins...
C'est vivant et intelligent, pas de raison de s'en priver, de vous en priver!
Très bonne lecture
En littérature, une attention trop exclusive à l'actualité n'aboutit pas à des résultats forcément concluants
L'intégralité du débat avec Patrick Kéchichian, "Le Monde des livres", vendredi 31 août 2007
atia : Plus de 700 romans français et étrangers, soit 43 de plus que l'an dernier, pour cette rentrée. Est-ce bien raisonnable ? Et est-ce que cela a un "sens" au niveau qualité ?
Patrick Kéchichian : Entre 600, 700 et 750, il n'y a pas beaucoup de différence. Evidemment, cela est déraisonnable, mais il faut se mettre à la place des auteurs. Pour eux, le livre écrit et publié est unique, ensuite c'est aux éditeurs de faire les choix.
Sont-ils pertinents ? A l'évidence, pas toujours. Beaucoup de livres se publient qui n'en valent pas la peine.
Isabelle : Quelles sont les grandes tendances de cette rentrée littéraire ? Qu'est-ce qui est parti pour "marcher" ?
Patrick Kéchichian : Comme tous les ans, un certain nombre de thèmes apparaissent. Il est peut-être trop tôt, un 31 août, pour dégager vraiment les thèmes.
On peut dire cependant que les romans qui semblent susciter le plus de curiosité sont à la fois des livres d'histoires et liés à des expériences personnelles d'une part, et d'autre part toujours cette question du Mal qui est à la fois dans l'histoire et à la fois dans l'esprit.
Roseline : On parle beaucoup des autofictions et de la place prise par des faits d'actualité dans les romans qui sortent. Mais les auteurs s'inspirent-ils plus aujourd'hui qu'hier de l'actualité et de la marche du monde ?
Patrick Kéchichian : Je ne crois pas que les auteurs s'inspirent davantage de l'actualité.
En revanche, une partie de la littérature actuelle cherche des thèmes qui peuvent susciter le plus de curiosité parmi les lecteurs, et donc évidemment d'achats de livres.
On peut soupçonner une partie, mais seulement une partie des auteurs contemporains de faire trop attention à l'air du temps.
phoque : L'utilisation de l'actualité n'est-elle pas simplement un moyen "marketing" de se différencier dans la masse des ouvrages de la rentrée litteraire ?
Patrick Kéchichian : Sans doute. Cela classe les auteurs en amateurs de vraie littérature ou en suppôts de la publicité.
koci : Ne pensez-vous pas que toute cette littérature de soi, sur soi...cette littérature de confession qu'ils appellent "autofiction", n'est pas quelque chose qui empêche le renouveau de la littérature française contemporaine ?
Patrick Kéchichian : La littérature du moi n'est pas une invention récente. La confession réelle ou fictive sous toutes ses formes, au moins depuis le XIXe siècle, est incontestablement un chapitre important de la littérature, et de plus un chapitre noble.
En revanche, ce qui est apparu depuis la seconde moitié du XXe siècle et qu'on a nommé l'"autofiction" – je rappelle que le terme a été théorisé par un écrivain qui se nomme Serge Doubrovsky – a incontestablement entraîné des dérives qui ne sont pas toutes intéressantes au niveau de la littérature.
C'est-à-dire que l'attention exclusive prêtée au "je" et au "moi" à un certain stade entraîne l'aveuglement ou une sorte de censure sur le monde lui-même. Le soi devient le monde. Et cette restriction peut avoir à mes yeux quelque chose de catastrophique.
Mais encore une fois, on ne peut pas juger la littérature sur ses partis pris de départ. Il faut l'évaluer sur ses résultats et sur la qualité propre de chacun des livres publiés.
ours : Le fait de se baser sur des faits d'actualité ne grève-t-il pas l'imagination des auteurs ?
Patrick Kéchichian : L'imagination est une matière volatile qui peut emprunter toutes les voies possibles, y compris celle de l'actualité.
Mais une attention trop exclusive à cette actualité ou un recours sans examen à des faits divers par exemple, n'aboutit pas à des résultats forcément concluants.
jeha : La fiction pure existe-t-elle ? Peut-on se détacher entièrement de la réalité quand on crée une histoire?
Patrick Kéchichian : La réalité ou le réel est le seul horizon d'un écrivain. S'il substitue à cet horizon uniquement le sien, nous aboutissons à une impasse dont les noms peuvent être divers, mais que le narcissisme généralement signifie fort bien.
Delphine : Que faut-il penser de la polémique Darrieussecq-Laurens ? Darrieussecq est-elle vraiment dans la fiction ?
Patrick Kéchichian : Cette polémique a plusieurs visages, le premier est douloureux.
En résumé, une femme, Camille Laurens, ayant réellement connu la douleur de perdre un enfant, s'est sentie blessée en lisant le livre d'un autre écrivain qui mettait en fiction l'histoire de la perte d'un enfant. La douleur doit être respectée.
En revanche, le prolongement littéraire et théorique de ce nœud douloureux tel que Camille Laurens, qui est une personne de grande intelligence et réflexion, l'a donné à lire dans son texte polémique contre Marie Darrieusecq peut susciter de grandes réserves.
La justification littéraire par le vécu n'est pas soutenable. Les arguments de Camille Laurens sur cette notion problématique de plagiat psychique sont plus que contestables en la matière.
Du côté de Marie Darrieussecq, nous avons un écrivain qui s'est mise à la première personne dans l'esprit d'une femme dont l'enfant est mort. Elle a des raisons intimes à cela, qu'il ne nous appartient pas de connaître.
Il faut là aussi juger le livre pour lui-même et non sur ses intentions ou ses prémices. Incontestablement, ce livre existe au sens fort du terme, laissant dans les marges la question douloureusement soulevée par Camille Laurens.
bbb : Mazarine Pingeot est-elle dans la fiction ou raconte-t-elle simplement l'affaire Courgeaut ? Pourquoi les écrivains sont-ils fascinés par les faits divers sanglants qu'on voit dans l'actualité ?
Patrick Kéchichian : Mazarine Pingeot est dans la fiction. Elle s'est servi de l'affaire Courgeaut, probablement avec un certain manque de délicatesse, pour raconter une histoire qui lui est intime.
Elle aurait dû à mon sens penser au caractère proche et douloureux de l'affaire Courgeaut (un infanticide), qui est encore à l'état d'instruction, mais encore une fois, le livre doit être jugé pour lui-même.
Pour ma part, ce jugement serait très sévère quant à la qualité littéraire du livre.
Quant à la fascination exercée par les faits divers, il va de soi qu'elle est immense, inépuisable. Les faits divers sont un des grands chapitres du journalisme et sont devenus pour la littérature une source très riche.
L'important pour les écrivains est de montrer qu'ils sont sensibles à la douleur qu'entraînent réellement chez les protagonistes ces faits divers. Comme pour beaucoup de chose, c'est là aussi une question de délicatesse.
koci : Pourquoi les auteurs ne concentrent-ils pas leur attention sur l'Histoire, comme cela se fait actuellement dans le monde anglo-saxon ou comme c'était la tradition française (Balzac ou Flaubert) ? Les journalistes et critiques y sont-ils pour quelque chose?
Patrick Kéchichian : Beaucoup d'auteurs concentrent de fait leur attention sur l'Histoire.
Pour ne citer qu'un exemple, le livre l'année dernière de Jonathan Littell, Les Bienveilllantes, qui a lui-même suscité une polémique sur l'usage que l'on pouvait faire ou ne pas faire de tragiques événements de l'histoire contemporaine, était incontestablement un livre qui s'emparait d'un épisode tragique du siècle.
Je ne crois pas que les critiques, à qui l'on peut faire beaucoup d'autres reproches, soient responsables de cette situation.
Sacha : Est-ce que les romans à thème "historique" doivent continuer à peser sur notre quotidien ? Ne devrions-nous pas abolir ce thème et pousser les personnes s'intéressant à l'Histoire à chercher dans des encyclopédies, livres historiques, etc., car il est facile de se baser sur des faits historiques et d'en réinventer les causes, et donc les conséquences, tout ça, pour plaire au public. Mais au final, ce dernier croit les romans, et non les véritables faits historiques... (cf. La Part de l'autre, d'Eric-Emmanuel Schmitt)
Patrick Kéchichian : Le roman et la littérature – et je pense notamment à la poésie –, autant que la science historique, nous aident à comprendre et à appréhender une réalité complexe.
Phèdre : L'écrivain = Nosferatu ; il "vampirise" tout ce qu'il voit, entend ; il s'accapare les personnages qui l'entourent (Desplechin pour le cinéma) : une nécessité créatrice due au manque d'imagination ou au contraire la réalité transcendée et sublimée par l'écriture qui donne au réel sa valeur ?
Patrick Kéchichian : Le processus d'appropriation de la réalité est inséparable de l'art et de la littérature, mais il va de soi que cette réalité existe en dehors de la littérature.
Et il est légitime qu'une personne, par exemple, qui se sent visée, atteinte, par une œuvre d'art, comme un film (le cas de Desplechin, avec son film Rois et reine), proteste ou se sente offensée.
Si cette réalité est transcendée, l'offense n'existe plus.
Frédéric : Peut-on d'ores et déjà parler de "favoris" pour le Goncourt ?
Patrick Kéchichian : Comme tous les ans, les spéculations vont bon train, qui nourrissent l'inspiration des journalistes. Je vous avoue que je ne trouve pas cela très intéressant.
Imaginons un monde idéal où les choix des jurys comme des journalistes ne se feraient que sur la seule évaluation de la qualité des livres. Certes, on en est loin, mais rien n'empêche de rêver.
mag : Quel serait alors votre choix dans ce monde idéal ?
Patrick Kéchichian : Je n'ai pour l'instant lu qu'une trentaine, au mieux, de romans qui paraissent pour cette rentrée. C'est un peu juste pour vraiment juger.
Je vous conseille cependant la lecture d'un livre que j'ai beaucoup aimé, celui de Linda Lê, In Memoriam, chez Christian Bourgois. Un roman de vraie imagination, sans référence aucune à l'actualité.
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Chat modéré par Philippe Le Cœur et Anne-Gaëlle Rico
V'la un critique bien sous tous rapports. Il avoue ne rien pouvoir dire parce qu'il n'a lu que trente livres, et surtout ses choix difficiles. la qualité, cette équilibre entre futilité et snobisme.0 priori il en a été toujours comme ça, cela nous adonné Victor Hugo, Honoré de Balzac, Goethe,......et tous ceux qui les entouraient. mais la lecture reste un combat contre l'ennui, souvent.Pour s'enrichir, rarement.
Rédigé par : martingrall | 05 septembre 2007 à 08:17