"C’est sur le pont d’Austerlitz, la main vissée à une valise qui mordait obstinément le goudron vers l’avant, vers la gare, que je réalisai que tout était fini. Ou plutôt, que tout avait eu lieu.
Les gens sur le pont n'ont vu qu'une fille avec des lunettes à peu près rondes, qui regardait la silhouette carrée et nostalgique de Notre-Dame, comme tous ceux qui étaient passés là avant elle. Qui se croyait comme dans les films, sans doute un peu trop. Ils n'ont vu que ça et c'est tant mieux, parce que ce qu'il s'est passé pendant ces quelques jours à Paris ne pourra jamais être raconté avec la justesse et l'exactitude qu'il faudrait. Le plus important, ne sont pas les mots que l’on pourrait choisir entre tous les autres pour ce 16 octobre, ils ne sont qu'une parcelle, qu'un filtre, qu'une flaque trouble sur laquelle on se penchera, pour se souvenir un peu.
J’ai essayé de coucher sur papier cette journée qui fait désormais partie de ma vie. « Un bon souvenir en plus » m’avait dit mon parrain adoré. C’est vrai. Le Prix Clara des autres, écrit, décrit, retourné, refait, recoloré, découpé et recollé comme un mauvais remake de film, n’appartiendra jamais qu’à ceux qui l’auront vécu. Pas pour le garder égoïstement, mais parce que je ne veux pas ternir moi-même ce précieux bijou, cette pierre un peu plus brillante que les autres, qui fait désormais partie de mon propre édifice.
J’ai du mal maintenant à expliquer ce que le prix Clara est pour moi. Un cadeau ? Une inespérée reconnaissance ? Une ultime confiance ? Une main tendue ? Une étape ?... Une remise en question peut-être.
Sans doute parce qu’écrire c’est se remettre toujours et encore en question. Ecrire c’est aussi extrêmement frustrant. Parce qu’imaginer n’a pas besoin de mots, de couleurs, de formes, d’odeurs ; ils changent tout le temps. Il suffit d’un battement de cœur un peu plus rapide, de la transparence d’une image, d’un souvenir imaginaire, d’un son, d’un film un peu étrange qui ne sera jamais projeté sur le mur impassible d’un écran de cinéma. Mais écrire, c’est surtout figer dans le temps cette merveilleuse immatérialité, cette chimère qui passait par là et qui s’est fait piéger dans la glace… C’est parce qu’il n’y a rien d’autre pour moi qui puisse me permettre de faire sortir tout ce trop-plein d’émotions, que j’écris. Quand je ne savais pas encore écrire, je passais des heures à quatre pattes dans le jardin dans la peau glissante d’une panthère, je tournais autour des pierres et jetais des fleurs dans l’eau en imaginant des princesses sauvages et des esprits de la forêt m’épier derrière les arbres.
C’était bien mieux que d’écrire. Parce que l’histoire était encore réalité, aussi pure et saisissante qu’elle n’est vague et inaccessible aujourd’hui.
Je voudrais aussi vous parler d’Ex Hedera. N’est-ce pas pour elle que je suis là à bégayer aujourd’hui ?
Je n’y ai vraiment réfléchi que lorsqu’il fallait que j’ouvre la bouche et que je parle. Il fallait maintenant que je raconte d’une autre manière cet étrange dialogue qui avait duré plusieurs mois entre le lierre, l’arbre et moi. Après les pages, les paroles. Les vraies, les assumées. Ça a été plus difficile. Alors j’étais là, ressemblant sans doute à une pauvre loutre noyée, accrochée à mon pupitre sous les dorures vertigineuses, et il fallait bien que je trouve quelque chose à dire.
Ce qu’il aurait vraiment fallu que je dise, c’est qu’Ex Hedera ce n’est que la parole donnée maladroitement à un lierre et un arbre, à deux visions différentes mais intimement accrochées l’une à l’autre, comme le lierre l’est à l’arbre. L’un pense que vivre c’est rêver, c’est imaginer, c’est vivre à travers ce à quoi on croit et qu’on aime, et vivre c’est ne jamais mourir, parce qu’il suffit que la vie existe pour qu’elle soit éternelle dans le souvenir des autres. Et puis l’autre pense que vivre c’est grandir, c’est grossir, c’est devenir de plus en plus fort et dépasser les autres, que vivre c’est participer à l’éternel roulement du cycle naturel, et puis que vivre c’est aussi mourir, c’est rester éternel parce que les autres prennent de vous ce dont ils ont besoin pour grandir à leur tour. L’un veut s’envoler, l’autre le retient par les racines. C’est sans doute ça, aussi, d’être vivant. Rêver, et exister.
J’avais pensé, avant ce 16 octobre, que le nom d’Héloïse Stöckel ne serait qu’un autre visage d’Ex Hedera. Que, toute la journée, je serais « celle qui a écrit Ex Hedera ». Que je serais celle qui a décidé d’habiter dans le vent qui souffle à travers le lierre et l’arbre. Que Théo serait échevelé de voyages, qu’Oriane serait la nouvelle Haru du Royaume des chats, que Siloé serait une voix qui chuchote les lettres brûlées des Poilus, que Matias serait la main coupée qui vient d’un autre monde, qu’Esther serait cette route un peu effacée qui lézarde jusqu’à un coin de ciel bleu.
Mais ce ne fut le cas. Ce jour-là, j’avais tout oublié. C’est pour cela aussi que parler à ce croissant de visages a été si difficile. J’étais redevenue une fille normale de Terminale, qui écrit… peut-être. Je ne les connaissais pas, mes chers co-lauréats, et pourtant ! Nos vies ce jour-là se sont croisées, et l’empreinte demeurera pour toujours.
Le 16 octobre, j’ai senti pour la première fois le poids de toutes ces années passées à rêver. Ex Hedera s’était enfui sans me l’avoir dit, et avait rejoint la grande spirale des textes écrits un jour, et lus un autre. Ex Hedera existait pour la première fois ce jour-là, maintenant peut-être a-t-il pour vous un visage. Un visage teinté de tout ce que vous êtes, et de tout ce que vous n’avez pas trouvé dans cet infime espace d’air qui sépare le lierre du chêne.
C’est cette couleur-là, imbibée d’émotions et de rêves, les vôtres et rien que les vôtres, que vous offrirez l’année prochaine… Je vous attends."
thank you!! :))
Rédigé par : Héloïse S 2014 | 14 novembre 2014 à 23:36
Des beaux mots pour une belle journée...
La mono de Colo ^^ ;)
Rédigé par : Pauline 2012 | 09 novembre 2014 à 23:17
Oh enfin des reusmés! Ça fait plaisir à lire! :)
Quand j'ai lu ta nouvelle, je suis restée scotchée à mon bouquin. Je l'ai directement refermé après en avoir lu le dernier mot. Puis une réflexion s'est imposée.
Cette métaphore du lierre et de l'arbre est tout simplement somptueuse. Une torture pareille, à laquelle vient s'ajouter une réflexion sur le fait de grandir, de prendre de la maturité, ces aspects différents, tout cela m'a beaucoup marqué. Je ne te cacherai pas que en lisant le résumé de ta nouvelle, j'étais très sceptique par rapport à son contenu, mais j'ai heuresement attendu de voir, et je pense que tu as réussi à faire d'un sujet qui parait... Étrange à vu de nez un véritable chez d'œuvre.
おめでとう!
Rédigé par : Chloé438 | 09 novembre 2014 à 13:32
Oh! merci!
Au-delà de complimenter l'écriture, vous appelez une suite, et c'est là l'une des plus belles choses que vous pouviez faire!
Rédigé par : Héloïse S 2014 | 08 novembre 2014 à 13:13
Tu es extraordinaire Héloïse...tes mots sont d'une justesse et d'une sensibilité bouleversantes.
Ta nouvelle est très belle !
Ta voie est toute tracée il me semble. Les mots que tu égrènes sont les balises poétiques d'un chemin qui t'appelle. Tu as tant de "mondes" à nous conter...
Toute mon admiration
mireille navone
Rédigé par : Navone | 08 novembre 2014 à 10:35
Ton compliment me touche vraiment, Elorn! Merci beaucoup!!
Hé oui, j'ai un peu fait un hors sujet sur "compte-rendu de journée" mais bon, il semblerait qu'on ne m'en tienne pas trop rigueur... ;)
Rédigé par : Héloïse S 2014 | 07 novembre 2014 à 21:30
Merci pour ces précisions supplémentaires sur ta nouvelle ! Je l'ai lue justement aujourd'hui et j'étais curieux de t'entendre en parler. :)
D'ailleurs, j'ai trouvé ça bien écrit sur la forme et plein de sens dans le fond. Une très bonne nouvelle, définitivement :D
Puisses-tu continuer de rêver et d'écrire, ces deux activités qui ne sont finalement pas si différentes l'une de l'autre... ;)
Rédigé par : Elorn (2013) | 07 novembre 2014 à 19:33
Ce fut corrigé ;)
Rédigé par : PF | 06 novembre 2014 à 13:36
Dois-je remarquer qu'Oriane a usurpé mon identité??
Rédigé par : Héloïse S 2014 | 03 novembre 2014 à 19:46