On est le 5 novembre et pourtant je flotte encore. C’était magique. Les mots ne pourront pas retranscrire assez intensément tout ce que nous avons vécu ce jour-là. J’ai peur qu’à trop les raconter, les souvenirs s’usent et perdent de leur éclat. Mais je vais essayer de le faire, sans oublier trop de détails, pour le plaisir de revivre encore une fois cette journée.
Hum… en fait, je ne vais pas commencer par la journée. Je vais commencer bien avant. Au tout début de cette histoire, il y a un stylo, un carnet et une fille plantée devant. Une fille avec des cheveux improbables (sans doute retenus en chignon bizarre par un autre stylo, déjà vide celui-là) qui voudrait raconter quelque chose, mais qui galère. Il y a quelques idées mais que du flou, des ratures partout, des « Je vais jamais y arriver » avoués à voix basse au stylo contrarié.
Au début je n’y crois pas. Disons qu’il faudra attendre de recevoir un mail de Pauline Ricaud, puis de commencer à correspondre avec les autres lauréats, pour accuser le coup et me dire vraiment : waouh ! Au cours du mois d’août, je retravaille ma nouvelle avec l’éditrice qui me fait rire parce qu’elle m’envoie des mails, puis des SMS pour me dire « Je vous ai envoyé un mail ! » En vrai, je suis très fière de recevoir des SMS de mon éditrice. Mi-septembre, tout est bouclé ; légère angoisse de me dire qu’il n’est plus possible de faire machine arrière. Les mots, mes mots, sur le papier, exposés à la vue de tout le monde. Très vite, l’excitation reprend le dessus.
À partir du mois d’octobre, nous faisons tous le décompte. Plus que 24 jours. 23. 22. Trois semaines. Deux. Une semaine. six jours. Chaque matin, l’échéance se rapproche. J’arrive à Paris le mardi 22 octobre. Plus que deux jours. Et enfin le voilà, le jour tant attendu, le fameux jeudi 24 octobre… Qui commence avec deux grandes questions existentielles : pourquoi mes cheveux ont-ils décidé de prendre une tournure improbable aujourd’hui ? Et plus important : elle est où, la rue Rollin ? Ben oui, trois jours qu’on est là et on n’a pas pensé à faire du repérage… Dans le métro je regarde ma montre, je serai en retard mais bon – pas comme si ça changeait de d’habitude. Et puis heureusement, les Éditions s’avèrent moins compliquées à trouver que je ne le craignais ; et il est près de midi quand mes parents me laissent devant la porte.
La première chose que j’ai vue en entrant, si on omet l’accueil de Pauline, c’est le sourire plus large que large d’Eugénie, à gauche de la porte. Et à côté d’elle, Elorn. Puis Marie qui arrive dans son pull vert sapin. C’est la première fois que je les vois mais j’ai l’impression de les connaître depuis… depuis trois mois que nous nous envoyons des mails ! Il y a aussi l’incontournable P-F, avec son chapeau et sa queue de cheval. On me remet un sac en papier avec mes dix exemplaires d’auteur, je ne peux m’empêcher d’en ouvrir un – je n’ose pas le respirer, je laisse le sac dans un bureau et rejoins les autres en bas.
En bas, il y a des piles de livres et une liste de gens à qui les dédicacer. L’inspiration nous manque. Nous nous retenons de faire quelques allusions à la ponctualité de la SNCF, nous dédicaçons deux exemplaires à la même personne, hésitons quant aux messages pour « Erik », spéculons sur le sens de l’humour des destinataires de nos dédicaces. Si Anne Hidalgo n’est pas élue, ce sera de la faute d’Eugénie ! Irène arrive et nous achevons notre tâche.
À midi, nous sommes rejoints par Héloïse d’Ormesson et Audrey, notre attachée de presse (dingue de se dire qu’on a une attachée de presse !). Tout le monde est tellement gentil et bienveillant que ce n’est qu’après coup que je me dirai : « Waouh, j’ai mangé avec Héloïse d’Ormesson quand même ! ». Eugénie est surexcitée, Irène semble atterrir de ses cours (première année de médecine oblige), Marie parle beaucoup, Elorn est sage. Je suis tellement contente de les rencontrer enfin, mes co-lauréats ! Ne nous manque que Benjamin, parti à l’autre bout du monde.
Arrive ensuite Gérard, le photographe, avec qui nous allons passer l’après-midi. Nous partons donc dans les rues, longue séance de sourires plus grands, plus grands, allez je veux vous voir morts de rire ! Et moi qui ne me force pas trop au début, je finirai la journée avec d’atroces douleurs aux maxillaires. P-F et Irène font des blagues scientifiques pour alimenter les sourires, Eugénie, des blagues belges – je préfère, je comprends mieux. Un ancien lauréat nous retrouve aux arènes, fait un coucou, prend une photo et nous dit à ce soir. Alors qu’on pensait que le pire était derrière nous, Gérard décide de prendre la fameuse photo où on saute, on recommence un bon million de fois parce qu’on ne saute pas tous à 3 et que ça ne va jamais. Probablement désespéré par notre nullité de coordination, P-F fait le décompte et saute en même temps que nous. Sa photo enfin en poche, Gérard réclame des portraits sans sourire, et là du coup on ne sait plus. D’atroces douleurs aux maxillaires, je vous dis.
Marie et Elorn nous quittent pour une interview à France Info et P-F part retrouver quelques anciens lauréats. Nous finissons les photos et retournons aux Éditions.
À 18 heures, nous sommes en tenue (ah, le plaisir de porter enfin la robe qui dort dans mon placard depuis un mois !) et partons en métro pour l’Hôtel de Ville. L’Hôtel de Ville… juste magnifique. Le stress commence à monter tandis que nous nous retrouvons devant l’estrade, Gérard reprend quelques photos. Nous découvrons l’article qui nous est consacré dans L’Actu et la tête de Benjamin par la même occasion. Le salon se remplit peu à peu. Il faut répondre aux questions de monsieur M6 avec sa grosse caméra qui me fixe de son œil vide. Puis viennent les discours, et enfin nous voilà sur l’estrade. Tous les regards sur nous. Waouh. Nous sommes appelés les uns après les autres. Stress. Marie F. m’appelle pour me remettre mon prix. J’attends la fameuse question à laquelle je vais devoir répondre… « D’où vient le titre de ta nouvelle ? ». Tiens, je l’avais vue venir celle-là. J’explique donc que non, je ne suis pas une crack en latin (je n’en ai jamais fait à vrai dire) ni une spécialiste de Sénèque ; simplement je suis tombée sur cette citation en lisant Phèdre, de Racine, et ça entrait tellement bien en résonance avec ce que j’essayais d’écrire à ce moment-là… Je n’ai pas pensé à te remercier Marie pour ta gentillesse et ta prévenance, alors je le fais ici !
Après la cérémonie, nous sommes assaillis par les anciens lauréats, tous adorables. Ayant anticipé la difficulté d’accéder au buffet grâce au récit d’Alexandre (2012), j’avais coaché mes invités : grâce à ma petite sœur et à ma cousine, j’ai pu manger DEUX macarons ! Encore des photos devant l’affiche, avec les parents de Clara à qui j’aurais voulu dire beaucoup de choses mais comment trouver les mots ? Un écrivain aux yeux bleus me fait des compliments, je n’en crois pas mes oreilles. Monsieur M6 m’apprend avec regrets que ce n’est pas lui qui décidera de ce qui sera diffusé à la télé et que je n’ai aucune chance d’être gardée si je tire la langue à la caméra.
Les invités commencent à s’en aller. Pauline Rolland, qui a réservé le restaurant pour l’after, joue les moniteurs de colo et nous rassemble. Je récupère mes sacs (en pure VIP j’ai accès libre aux vestiaires, la classe !) et bientôt le troupeau des lauréats, anciens et nouveaux, s’étire dans la rue. Pauline se plante au milieu de la chaussée pour nous faire traverser – j’admire son courage jusqu’à ce que je remarque qu’en fait le feu piéton est vert et qu’elle ne prend aucun risque. Après quelques minutes de marche, nous débarquons dans le restaurant, sous le regard quelque peu amusé des serveurs. L’after est la cerise sur le gâteau de cette journée magique : l’occasion de rencontrer des gens géniaux qui donnent envie d’être étudiante, vite, de fréquenter des khâgneux et des normaliens pour apprendre un peu de tout ce qu’ils ont à partager… Pour la petite terminale ES que je suis, tous ces gens sont un encouragement de plus à grandir ! (Et pour la gourmande que je suis, le moelleux au chocolat partagé avec Capucine était une tuerie !) Iris (je crois que c’est elle) a laissé un message sur une serviette en papier : « Merci pour cette soirée, de la part de la future élite littéraire parisienne ! »
Enfin, le retour en métro en toute illégalité, Marie, Elorn et moi nous collons aux parisiens pour passer les portiques. Illégalité mal assumée par ce pauvre Elorn (« On ne pourrait pas acheter un ticket quand même ? »), qu’on a d’ailleurs failli perdre dans le métro, parce qu’il n’a pas pris les escalators comme tout le monde, ce petit rebelle. Hôtel, les quatre étages sur mes talons qui commencent à vaciller, Marie s’arrête au premier, Elorn poursuit jusqu’au cinquième. Je bidouille la clé dans la serrure, réveille ma sœur, visite notre chambre, ouvre tous les paquets (set hygiénique, brosse à lustrer, bonnet de douche, savon), enlève mes chaussures, perds huit centimètres et me jette sous la douche. À plus d’une heure du matin je parle encore, assise sur mon lit. Il faudrait dormir mais il y a tous ces livres dans mon sac, mes exemplaires dédicacés, et puis notre recueil, bon sang NOTRE recueil ! Avec mon nom dedans ! Je mettrai du temps à trouver le sommeil, épuisée, surexcitée, mal partout mais heureuse.
Je voudrais remercier de tout cœur les gens qui font vivre le Prix Clara, le jury, les Éditions Héloïse d’Ormesson et tous les lauréats, anciens ou nouveaux, présents ou non, pour m’avoir permis de vivre une aussi belle aventure. Quant à ceux qui auraient pu gagner cette année et qui, comme moi en 2012, ne sont pas arrivés au bout de la sélection, je n’ai qu’un conseil : recommencez tant que vous le pouvez !
Annabelle Moulin.
Un récit très vivant, les petites touches d'humour qui y sont parsemées sont très agréables à la lecture ; merci de nous avoir partager cette journée insolite !
En espérant vivre d'aussi palpitantes aventures.
Rédigé par : Zohéir | 17 mai 2014 à 22:31
Anna t'es belle (ouah le jeu de mot !)
super joli textes
bisous baveux
j'vous aime put*n
irenou
Rédigé par : Irenou | 14 avril 2014 à 20:26
Salut!
J'i terminé le recueil tout à l'heure (désolée pour les deux mois de retard) et j'ai adoré vos nouvelles. Mais pour ce qui est la tienne, j'ai du relire au moins trois fois la dernière phrase avant de la comprendre totalement... et j'aime cette fin: ni tout à fait aussi noir et figée que le début mais pas rose non plus (loin de là). Vraiment (sans vouloir te cirer les pompes: je déteste ça) j'aime la façon dont tu abordes ce thème, et la façon dont tu écris aussi. C'est à la fois brut et poétique, vraiment agréable à lire.
Bref. Tout ça pour dire: j'ai adoré vos nouvelles et vous avez vraiment mérité d'être publié. On verra bien si l'un du site vous rejoint l'année prochaine!!
Rédigé par : Liu | 26 décembre 2013 à 20:48
Ce serait bien effectivement ;)
Mais actuellement, je suis sur la composition d'une nouvelle pour un autre concour qui a lieu dans ma ville, c'est assez rapide (4000 mots Max) mais difficile, car c'est forcément quelque chose de cours et à chute... Pour combler le tout, il y a un thème "témoin"!
Mais bon, j'ai à peut près l'idée en tête, il faut simplement que je trouve le temps d'écrire entre les cours et tout ça... Je ferai le prix Clara après, même si je connais déjà la piste que je vais explorer ;)
Bonne fin de week end à tous!
Rédigé par : Chloé438 | 17 novembre 2013 à 18:35
I love your text Annabelle!
Plus je relis les "résumés" de THE journée et plus je souris!
Rédigé par : Eugénie | 13 novembre 2013 à 21:30
C'est tellement parfait ce que tu écris, Annabelle que ca représente exactement ce qu'on a vécut ce jour là !
(même si aucun de nous trois n'a parlé du réveil difficile à l'hôtel, ahah)
Rédigé par : Marie | 13 novembre 2013 à 13:26
Chloé438 : oui c'est moi ;) merci beaucoup ! :) Continue de participer alors, peut-être qu'on se croisera l'année prochaine ? :)
Rédigé par : Annabelle | 11 novembre 2013 à 14:04
(Ta pensée est une histoire signifie en langage humain que tu penses comme tu écris ;) )
Rédigé par : Chloé438 | 10 novembre 2013 à 22:18
Les joyeuses colonies de vacances...
Ton récit est superbe: ta pensée est une histoire aussi! C'est toi qui a écrit Vim corpus tulit? Juste bravo...
Je lit et relis les nouvelles de cette année et des années passées... Si seulement je pouvais remporter le prix!!!
Sinon, ça me fera une nouvelle de plus à lire ^^!
Rédigé par : Chloé438 | 10 novembre 2013 à 22:07
Wouah... ton récit est intense, bien écrit, ça fait vraiment rêver ! Quelle journée et soirée fantastiques vous avez du passer... bravo à toi pour ta sélection et ta nouvelle, puissante et réaliste !!
Rédigé par : Gaby | 10 novembre 2013 à 18:06
OK, PF, nouveau projet du Prix Clara : on monte une colonie de vacances !!!! :D (non mais sans rire, ce serait vraiment génial :D)
Rédigé par : Pauline | 09 novembre 2013 à 20:08
Deux macarons, records battus :p
Encore bravo pour ta nouvelle et ta victoire! Et merci pour ce texte qui m'a bien fait rire ^^
PF: moa est une des participantes ^^
Rédigé par : ... | 09 novembre 2013 à 14:40
C'est qui "moa"
C'est du beau ça de prendre le métro en fraudant =P Je suis content que mon chapeau ait eu du succès! ^^ Au plaisir de vous revoir toutes et tous!
Rédigé par : PF | 09 novembre 2013 à 13:35
Merci de nous avoir fait partagé ce moment! J'ai bien rit!
Et pour la colo, si vous voulez de moi, je suis partante!
Rédigé par : Moa | 09 novembre 2013 à 12:05
@Liu : merci ^^ tu nous diras ce que tu en as pensé à Noël alors ! :)
@Pauline : je suis partante pour la colo, tu seras la responsable en chef ! :p merci d'avoir pris en charge l'after et les commandes, ça reste un des meilleurs souvenirs de la journée ! :)j'espère bien te retrouver l'année prochaine :)
Rédigé par : Annabelle | 09 novembre 2013 à 10:45
Ah Bah merci, tu m'as bien faire rire Annabelle !! "monotrice de colo".... :p
On devrait organiser une colonie de vacances Prix Clara, n'empêche ! Au programme, lectures et écriture !!! :) :D
Merci pour ta bonne humeur et ton talent, ta nouvelle est, je te le répète, splendide !
Au plaisir de te revoir très très vite,
Pauline (2012)
Rédigé par : Pauline | 08 novembre 2013 à 21:40
Wouaouh!
Quand je te lis je pense simplement "le rêve!".J'imagine (seulement imagine) combien vous avez dû vous amuser! Merci de nous raconter cette journée qui chaque année me fait autant rever!
Je suis désolée, la première à commenter n'a pas encore lu ta nouvelle pour la simple et bonne raison que je le lirai à Noel, aux pieds du sapin et les papiers cadeaux jonchant encore le sol.
Et BRAVO!!!^^
Rédigé par : Liu | 08 novembre 2013 à 21:13