Cette journée devait être marquée d’une pierre blanche. Même mon horoscope, celui même qui se trompait neuf fois sur dix, était formel. Et ma nuit se teintait de la même pâleur: impossible pour moi de fermer l’œil, tant ce jour devait être une révélation…
Voici le récit de ces mémorables vingt-quatre heures…
7H15. Une horrible cacophonie retentit dans la chambre exigüe qui me sert d’antre. Ma jumelle, Mathilde se prépare pour le lycée.
8H15. Mathilde s'en va, non sans m'avoir accordé quelques paroles envieuses. Le stress commence à consumer toutes mes cellules grises. J'attrape l'exemplaire du prix Clara et en fait mon petit-déjeuner. (Il faut dire qu'à l'instar de Gargantua, j'ai appris à dévorer les livres...)
Une fois m'être remémoré l'ouvrage, le nom de toutes ses lauréates dont - ô miracle! - je fais partie, je saute du lit, m'étire comme un chat et commence à me préparer.
Pour le moment, rien que de très normal. Mais les ennuis commencent, cher hypothétique lecteur... Le destin ne saurait trop récompenser un seul être. Il faut des hauts et des bas pour tout un chacun!
Je m’en suis rendu compte juste après la douche. Mon sèche-cheveux a subitement refusé de fonctionner. Evidemment, il fallait que cela arrive ce jour là, alors que j’avais un emploi du temps minuté et que le stress m’avait déjà envahi depuis plusieurs heures.
Je fonce donc à la supérette la plus proche et achète l'un de ces précieux engins. Résultat, je perds une bonne heure et ne suis prête qu'à 12h15. Je suis toutefois dans les temps, je respire…
12H30. Je sillonne les rues de Paris à la recherche des éditions Héloïse d'Ormesson. Je trouve l'adresse sans aucun mal - j'étais déjà venue en repérage - et m'aventure dans l'immeuble. Je reste quelques temps en admiration devant la beauté des lieux, les buissons, les arbustes, les parterres fleuris... C'est étrange, ce jour là, tout me paraît idyllique ; la nature m'émerveille! Puis j'ose franchir le seuil du bâtiment C. Devant le tapis rouge des rois qui orne l'escalier, j'hésite. Je dois me rendre au sixième étage... Finalement, mon indolence a raison de moi : je prends l'ascenseur.
Devant la porte étiquetée "Editions Héloïse d'Ormesson", j'ai la bonne idée de sonner. ( Après tout, je suis une être civilisée, même si mon excentricité me rattrape parfois : "On n'oublie jamais ses origines" disait ma grand-mère, et il faut dire que les miennes sont assez décalées; je viens d'une autre planète...). Une jeune femme svelte dont le sourire est à son apogée m'accueille chaleureusement. Derrière elle, je vois trois têtes se tourner, trois paires d'yeux me fixer, trois lèvres me sourire... Trois lauréates étaient déjà là... "Bonjour... Anne-Laure? Viens, je vais te faire visiter la maison!" me dit la jeune femme toujours postée devant moi et dont le sourire ne s'est toujours pas étiolé. "Je m'appelle Agathe; on s'est déjà parlé au téléphone". J'acquiesce, un peu perdue, et souris aux trois lauréates avant de disparaître dans un long couloir. C'était si grand! (En fait, je ne sais pas vraiment si c'était si grand, mais ce jour là, je crois que je voyais tout en grand!) Quelques minutes plus tard, je reviens vers les trois lauréates. C'est l'heure des présentations... "Je m'appelle Coralie", me dit une jeune adolescente au visage auréolé de mèches brunes. "Vous devriez peut-être dire aussi les titres de vos nouvelles" intervient Agathe, prête à nous porter secours. Je réponds: " Tu es l'auteur du Voleur d'Âmes" dévoilant ainsi mes connaissances - après tout, je n'avais pas digéré tout le recueil pour rien, le matin même! Coralie m'offre un de ses sourires radieux qui contamine aussi son regard - elle voyait également la vie en rose, ce jour là... Toutes, d'ailleurs, nous sourions joyeusement. De la même manière, je fais la connaissance de Justine - notre benjamine! - et de Juliette - notre aînée! - et en apprend plus sur mes co-équipières dans cette incroyable aventure qu'est l'écriture... Coralie, par exemple, a aussi une soeur jumelle! Et Juliette, étudie comme moi, au lycée Henri IV ! Décidément, je ne connais ces filles que depuis quelques minutes, mais il me semble déjà que je partage avec elles plus de point communs que je n'en ai jamais eu avec bon nombre de mes amis... Agathe finit par nous faire descendre de notre petit nuage quelques secondes, le temps de nous rappeler que du travail nous attend, là, juste sous nos yeux. J'embrasse la salle du regard avant de m'arrêter sur des livres aux couvertures oranges, blanches et roses... Nos livres! "Vous avez cinquante ouvrages à dédicacer, les filles!" nous annonce Agathe. Le rêve, - que dis-je? L'utopie! - venait de commencer...
13h15. "Posez-vous stylos!" tonne une voix. On aurait presque dit celle d'un professeur... Cependant, je n'étais pas en plein contrôle mais en séance de dédicaces ! "Nous allons déjeuner!" continuait Agathe. "Et avec Héloïse d'Ormesson!".
Je croise le regard des trois lauréates. Si c'est un rêve, alors nous faisions toutes le même! Tandis que mes pensées tambourinent contre mon crâne - "J'y crois pas! On va manger avec Héloïse d'Ormesson!" - une adolescente aux cheveux noirs de jais et aux yeux brillants d'excitation sort de l'ascenseur que nous nous apprêtions à prendre. "Ah! Une autre lauréate!", s'exclame Agathe qui l'adopte immédiatement. Nous n'avons même pas le temps de lui adresser la parole qu'Agathe l'a déjà prise sous son aile et a disparu avec elle je ne sais trop où... Mais, heureusement, Catherine - c'est comme ça qu'elle s'appelle! Si si! Comme l'héroïne de ce roman anglais que j'aime tant : Les Hauts de Hurlevent. - refait bientôt son apparition, déchargée de son manteau et de son sac. Toutes ensembles, nous entrons dans l'ascenseur. Quand nous en descendons, nous sommes au seuil d'un superbe appartement empli de livres... C'est le seul détail dont je me rappelle vraiment, mais c'est le plus important! L'appartement d'Héloïse est le paradis des rats de bibliothèque tels que moi. Je sais, je suis dithyrambique à son égard, mais c’est mon éditrice, alors elle a forcément bon goût ! Bon, j’imagine que vous me trouvez trop euphorique et que vous ne vous fiez plus à mon jugement, mais je peux vous certifier que son appartement est un repère d’éditeur des plus charmants.
Bientôt, Héloïse arrive, souriante et pleine de délicatesse à notre égard. Elle est accompagnée de Florence Robert, l'éditrice qui avait retravaillé nos textes avec nous... De délicieux bavardages peuvent commencer. Dommage que je sois encore un brin intimidée, car on est au cœur de mes sujets de prédilection : la littérature, le prix Clara, les anciens lauréats et puis on finit par bavarder à nouveau sur la littérature en général! Bien sûr, le repas est tout aussi délicieux mais comme je suis concentrée sur la conversation d'Héloïse, j'ai du mal à faire honneur aux mets libanais qui s’offrent à nous. Il ne manque plus qu'une chose pour que notre bonheur soit complet: l'arrivée d’Anne, la sixième lauréate, qui reste coincée dans un train!
15 h. Anne est arrivée! Elle a le droit à la même cérémonie que nous toutes: visite de la maison, présentations, dédicaces... Puis nous partons au jardin du Luxembourg, accompagnées par Agathe et un nouvel arrivé: un photographe! Avec lui, Juliette, Coralie, Catherine, Justine, Anne et moi ne nous ennuyons pas. Les photos, toutes plus excentriques les unes que les autres, ont l'art de nous amuser! Entre une pause derrière un arbre et une autre où nous sommes allongées sur l'herbe autour d'une affiche, nous trouvons même le temps de discuter!
17 h. Une journaliste est arrivée chez EHO! Elle demande à nous voir... Elle voudrait nous interviewer ! Nous nous installons dans le bureau d'Héloïse et fixons la caméra, un peu intimidées. Finalement, tout se passe sans encombre! Quand la journaliste éteint la caméra, je surprends même le regard déçu de mes camarades. Elles semblent dire: "C'est tout?". C’est vrai que ce n’est pas désagréable de répondre à une interview. Je crois que je pourrais en supporter d’autres…
Nous enfilons ensuite nos robes pour la soirée à l'hôtel de ville. Il faut bientôt partir! Dans ma hâte, je ne suis même plus concentrée sur ce que je fais... Ô malheur! Ô fatalité! Je viens d'effiler mon collant...
17h30. Décidément, c’est étrange, à chaque fois que je nage dans le bonheur, il y a toujours un grain de sable qui vient perturber mon état de grâce…
Ce fâcheux incident qui m'est arrivé avec mon collant va cependant être vite oublié! Audrey, l'attachée de communication des Editions, se révèle être ma bonne étoile! Ensemble, nous parcourons les rayons d'H&M à la recherche d'une nouvelle paire de collant! Une fois passées à la caisse, nous rejoignons les autres à l'hôtel de ville où doit se clôturer ce conte de fée! Après les péripéties du sèche-cheveux et de la paire de collant, j'ai hâte de profiter de la fête! J’aimerais surtout qu’il ne se passe plus rien de fâcheux; le moment crucial arrive…
19 h. Tous les invités sont là! Et il y a même quelques célébrités! J'ai eu le temps d'apercevoir Tatiana de Rosnay et Erik Orsenna, avant de retourner me faire photographier avec les autres lauréates et de découvrir que l'on parlait de nous dans la prochaine parution du magazine L'Actu. Puis, commence la remise des prix. Erik Orsenna, l’Académicien régale l’Assemblée par ses bons mots. Et il nous a préparé une surprise de taille! En effet, il nous demande à chacune de parler de notre nouvelle, là... devant tout le monde... sur l'estrade... devant les caméras... Après une bonne inspiration, je supplie mes jambes tremblantes, de bien vouloir avancer. Puis, une fois arrivée à destination, je sens le stress retomber, et je résume ma nouvelle avec un flegme qui m'étonne moi-même! Les autres lauréates s'en sortent également très bien! Et certaines se risquent même à manier l'humour avec brio!
La soirée se termine dans la joie et la bonne humeur. Catherine, Juliette, Coralie, Anne, Justine et moi enchaînons les petites dédicaces et discutons avec les lauréats des années passées. Nous nous promettons de rester en contact et échangeons nos mails... Dans l'euphorie générale, Coralie et moi trouvons même le temps de rassembler nos jumelles.
Mathilde et Camille, ces "doubles anonymes" comme elles se qualifient elles-mêmes, tout en contemplant leurs sosies, se motivaient, à quelques mètres de nous. On aurait presque pu les entendre dire: "L'année prochaine, ce sera nous!".
Anne-Laure Lesage
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