Comme beaucoup de gens dans ce métier j'ai croisé Claude Durand mais je ne le connais pas vraiment.
Nous avons quelques points communs mais le plus drôle d'entre tous est que nous avons été faits "maitre aspergier" ensemble à St Louis le 15 mai dernier!
Cela a été l'occasion de se parler vraiment pendant 24 heures après que je lui ai rendu un hommage publique absolument sincère ( ceux qui n'étaient pas noyés dans le champagne s'en souviennent, les autres ne souviennent que du champagne!)
Lorsque je suis tombé sur cet excellent entretien réalisé par la ravissante Julie Malaure je me suis dit qu'il pouvait être intéressant de vous faire découvrir ce personnage simultanément emblématique et énigmatique, rigoureux et provocateur mais surtout doté d'une puissance de travail incommensurable et d'une intelligence hors du commun!
Prenez le temps de découvrir Claude Durand et vous comprendrez pourquoi l'homme laissait si peu indifférent
Et n'imaginez pas une seconde que je me compare à lui, il me faudrait 3 vies pour cela et l'intelligence ne s'achète pas, même dans les bonnes librairies!
lepoint.fr : Votre premier changement de maison, de Seuil à Grasset, a eu lieu en 1978. Est-ce que ce passage, comme plus tard, celui de Grasset à Fayard, s'est amorcé à partir d'une brouille ?Claude Durand, épisode 1 : Petite généalogie de la querelle Seuil-Grasset-Fayard
Claude Durand est une figure incontournable de l'édition française. Né en 1938, il est entré comme lecteur au Seuil en 1958 pour y devenir éditeur sept ans plus tard. En 1967, il fait son premier grand coup éditorial en découvrant un certain Gabriel Garcia Marquez et son livre, Cent ans de solitude qu'il traduit en collaboration avec son épouse. 1973, nouveau coup d'éclat, Claude Durand fait l'acquisition des droits de L'Archipel du Goulag de Soljenitsyne, qui sort en France en 1974. En avril dernier, il a quitté la tête de Fayard, poste qu'il occupait depuis vingt-neuf ans, libre désormais de revenir sur les épisodes houleux des querelles qui opposèrent Seuil-Grasset-Fayard. lepoint.fr l'a rencontré, pour une série d'entretiens dont voici le premier extrait.
Claude Durand : Au Seuil, j'ai demandé à avoir une filiale autonome, cela m'a été refusé, je suis donc parti. Grasset a été pour moi une sorte de "sas" professionnel. Il y avait là une bande de fortes personnalités, toutes pittoresques : Privat, Fasquelle, Verny et Berger... J'avais par exemple beaucoup d'affection pour Françoise Verny, sans partager aucunement son approche du métier, jaugeant trop les gens sur leur surface mondaine ou médiatique. Privat devait prendre sa retraite, c'est d'ailleurs pour cela que l'on m'avait fait venir. Fasquelle devait devenir le numéro un et je devais occuper le poste de numéro deux. Mais comme le président en exercice, Privat, qui m'avait pris en sympathie, a finalement décidé de rester un peu plus que prévu, nous étions trois pour deux fauteuils, ce qui n'est jamais très confortable. Ça a engendré des tiraillements, des guéguerres internes qui n'étaient pas propices à l'exercice serein du métier. Donc, lorsque Jacques Marchandise, alors à la tête du groupe Hachette, m'a proposé de prendre la présidence de Fayard, je n'ai eu qu'une heure exactement pour me décider. Ni une, ni deux, j'ai téléphoné à ma femme, je n'ai même pas eu le temps de regarder les chiffres et j'ai dit : "J'y vais".
lepoint.fr : Ça mettait fin à un épisode épineux chez Grasset ?
Claude Durand : Ce qu'on m'avait refusé au Seuil, j'allais pouvoir le faire en pleine responsabilité chez Fayard.
lepoint.fr : Mais la conséquence de ce passage chez Grasset a été le début d'une rivalité entre les deux maisons ?
Claude Durand : Au sein d'Hachette, Grasset était alors la maison dominante, incontestablement, en littérature générale. En outre, les deux maisons avaient une équipe commerciale commune. Et comme mon prédécesseur, Alex Grall, était en fin de carrière, il n'était pas toujours soucieux de bâtir des projets à long terme, ou de retenir les auteurs, et il y avait parfois des migrations d'auteurs Fayard vers Grasset. Depuis chez Grasset, j'avais assisté à quelques manoeuvres pour attirer ces auteurs, en arrivant chez Fayard, j'étais évidemment au courant. Je n'ai eu alors qu'une envie : rompre les quelques ponts qui existaient entre les deux maisons pour éviter que ce flux migratoire perdure. Ensuite, il y a eu une sorte d'émulation : plus Fayard se développait, plus son chiffre d'affaires et sa force d'attraction augmentaient, plus l'image de leader de Grasset pouvait, aux yeux de certains, paraître entamée. Pour moi, je me dois de le dire, ces comparaisons n'ont aucun sens : au banquet de l'édition, je ne suis pas de ceux qui lorgnent en permanence sur l'assiette du voisin.
lepoint.fr : Ce feu ne s'est jamais éteint au fil des années ?
Claude Durand : Tout cela relève en fait de la petite histoire, et il y a beaucoup plus sérieux. Chaque maison a son passé, son code génétique, sa culture, son image qui dépend des orientations de son patron et de ses animateurs. Et il est vrai que, dans le domaine politique ou idéologique, il y a eu des divergences entre les deux maisons. Des polémiques, aussi, tantôt, par exemple, vis-à-vis de ce qu'on a appelé "la bande à BHL", tantôt autour des prix littéraires. Mais je pense que dans un groupe comme Hachette, avoir non seulement des maisons complémentaires, mais qui couvre tout l'éventail possible des opinions, c'est une richesse.
lepoint.fr : Vous étiez donc des frères ennemis. Abel et Caïn au sein du groupe Hachette ?
Claude Durand : Je ne place pas cela sur le plan de l'inimitié, mais de la différence ou de la divergence assumée. Sur le plan intellectuel, je trouve que c'est aussi précieux que la protection de la biodiversité dans la nature : y porter atteinte peut se révéler à terme aussi dangereux.
lepoint.fr : À partir de 1980 vous développez Fayard ?
Claude Durand : Reprendre la tête d'une maison d'édition, c'est comme la rebâtir ou la réaménager. On regarde les fondations, on conserve les murs encore solides, on voit les agrandissements que l'on peut y apporter. Il y avait déjà deux collections importantes, en histoire et en musicologie, un fonds de littérature étrangère, et, sitôt arrivé chez Fayard, on m'a demandé d'héberger d'autres départements, dont Pauvert avec les oeuvres de Bataille, Crevel, Roussel, Boris Vian, etc. De mon côté, venant du Seuil, j'apportais le goût des sciences humaines, des documents politiques, un certain nombre d'auteurs littéraires et puis Soljenitsyne, bien entendu.
lepoint.fr : Ces auteurs en question, comment les avez-vous escamotés au Seuil ?
Claude Durand : Ils sont venus petit à petit. Certains, recrutés notamment sous le règne de Paul Flamand, cofondateur et PDG du Seuil jusqu'en 1978, se sentaient dépaysés par de nouvelles orientations de la maison de la rue Jacob, se plaignaient d'être négligés. Ceux-là me connaissaient et sont venus de préférence chez Fayard. Il y a donc eu un apport de sang du Seuil compatible avec le sang Fayard. Et finalement, au fil des ans, les collaborateurs que j'ai recrutés ont fait bénéficier l'entreprise de leur propre apport.
Claude Durand, épisode 2 : gros coups, gros sous
Suite de notre entretien avec Claude Durand, connu pour ses "coups" éditoriaux. Les mauvaises langues ont annoncé plus d'une fois la banqueroute ou autres catastrophes à propos de la maison Fayard, mais avec une parfaite maîtrise du système, Claude Durand a déjoué bien des pièges et roulé dans la farine ses détracteurs.
lepoint.fr : On entend parler, chez Fayard, dans les années 1980, de détournement d'auteurs à coups de gros chèques...
Claude Durand : La seule fois où j'ai entendu parler d'une telle chose, c'était à propos de Michel Houellebecq.
lepoint.fr : Oui, vous avez offert 1 million d'euros pour signer les droits de La Possibilité d'une île , c'est bien cela ?
Claude Durand : En effet, et ça lui a rapporté quelque 1,5 million d'euros. Ce qui montre que les ventes en France et à l'étranger ont dépassé d'au moins 50 % ce qu'il fallait pour amortir l'avance.
lepoint.fr : Donc, ce que certains médias relayent à propos de la mévente ou des stocks de livres non écoulés, c'est faux ?
Claude Durand : Nous avons vendu quelque 300.000 exemplaires, et le livre a été traduit dans 40 langues. Toute la campagne menée par certains confrères envieux et une poignée de journalistes ignares pour dire que Fayard allait y laisser sa chemise était totalement infondée.
lepoint.fr : Mais c'était un pari risqué, non ?
Claude Durand : Pas du tout. Il suffisait de voir le nombre d'exemplaires déjà vendus des titres précédents de Houellebecq, supérieur à 200.000. C'est de la simple arithmétique ! Je ne m'étonne pas que certains confrères médisent, c'est de bonne guerre, mais que des gens de la presse rapportent de telles balivernes sur le montant des à-valoir... Ils sont trop flemmards pour se demander ce que donne comme droits d'auteur un livre de 20 euros avec 15 % de royalties ? Combien faut-il en vendre pour amortir un million d'euros ? 300.000. C'est ce qui a été fait. Sans compter les traductions, les éditions de poche, les clubs, etc. Et je n'insiste pas sur le fait que les mêmes confrères qui dégoisent sur cet investissement paient sûrement plus cher des ouvrages qui n'arrivent pas à la cheville du chien de Houellebecq.
lepoint.fr : Donc selon vous, verser 1 million à Houellebecq, ce n'était pas une prise de risque ?
Claude Durand : Non, vraiment, aucun risque.
lepoint.fr : Quelle est la politique de Fayard, en général, concernant les à-valoir ?
Claude Durand : Je pars toujours du principe que, sur la place de Paris, il y a cinq à dix éditeurs qui peuvent grosso modo faire à un auteur donné la même proposition. Donc, ce qui fera la différence, ce n'est pas tellement l'argent, mais la qualité du service. Tantôt ce sera telle maison réputée pour son dynamisme commercial, tantôt telle autre pour son sens de la promotion, tantôt une autre pour le soin mis à la fabrication et à la préparation des manuscrits, tantôt une quatrième pour une combinaison heureuse de ces qualités, etc. Voilà ce qui fait la différence aux yeux des auteurs. Toutefois, lorsque des maisons sont un peu dans le creux de la vague, qu'elles ont besoin de restaurer leur image, ou bien un programme insuffisant, il arrive qu'elles fassent monter les enchères sur un livre tout en sachant qu'elles vont perdre de l'argent. Parfois, se produit aussi l'inverse. J'ai payé 5.000 francs de l'époque, lorsque j'étais au Seuil, pour les droits français de Cent ans de solitude , de Gabriel García Márquez, mais le prix de l'ouvrage suivant est passé à 100.000 dollars ! C'est d'ailleurs Grasset qui l'a eu.
lepoint.fr : Vous ne vous êtes pas positionné sur la vente ?
Claude Durand : D'une part, Paul Flamand hésitait à mettre autant d'argent - à tort, à mon avis. Et il se trouve que Jean-Claude Fasquelle, qui a une résidence secondaire en Catalogne, était voisin de l'agente qui gérait les meilleurs auteurs sud-américains, dont Gabo.
lepoint.fr : Vous êtes connu dans la profession notamment pour un certain nombre de "coups" éditoriaux.
Claude Durand : Les coups, cela fait partie de ce qui rompt la routine. Ce sont aussi souvent des défis qu'on se lance à soi-même.
lepoint.fr : Fasquelle n'a pas pu avoir un meilleur prix, de ce fait ?
Claude Durand : Il faut se rappeler que l'édition espagnole de Cent ans de solitude avait déjà franchi le million d'exemplaires. Le statut de Garcia Marquez avait radicalement changé, et son prix avec.
lepoint.fr : L'affaire Renaud Camus, La Face cachée du Monde à l'ère de la toute-puissance du journal, Une jeunesse française de Mitterrand , sous la présidence de Mitterrand. Ça vous a valu des ennuis ? Les renseignements généraux vous ont surveillé ?
Claude Durand : Généralement trop tard. C'est pour cette raison que La Face cachée du Monde a été imprimé en Espagne. Il y a parfois des indicateurs qui rôdent autour des imprimeries. Tantôt ils informent les RG, tantôt ce sont les RG qui viennent s'informer. Tout cela est bien connu.
lepoint.fr : Comment gardez-vous le secret ?
Claude Durand : La technique ? Elle consiste à chaque fois changer de technique ! Sinon, les procédés s'éventent. Les livres sont parfois livrés sous emballages plastique opaques. D'autres fois, on leur met une fausse jaquette, ou les emballages arborent un faux titre, etc.
lepoint.fr : Vous êtes-vous déjà senti en réel danger ?
Claude Durand : Le plus courant, ce sont les ennuis judiciaires. Pour l'ouvrage sur Le Monde, il y a eu d'abord plus d'une dizaine de plaintes, et le total des dommages et intérêts réclamés dépassait les 10 millions de francs. Ça aurait pu faire couler la maison. Le litige a été résolu grâce à une médiation remarquable sous l'égide du Premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet. Cela a réussi et il n'y a pas eu de procès.
lepoint.fr : Comment cela, pas de procès ? Vous avez trouvé un accord financier avec les plaignants ?
Claude Durand : Non, aucun accord de ce type. Il est probable que la plupart des plaignants n'ont pas souhaité voir s'accentuer, à l'occasion d'un procès, les mises en cause qui avaient entraîné et qui ont accompagné la parution du livre. En revanche, dans certains cas, des enquêtes peuvent se révéler physiquement dangereuses. Pierre Péan, qui enquêtait il y a déjà vingt-cinq ans sur le sujet, bien ressassé depuis lors, de la Françafrique, a été, lui, en butte à des menaces et même à un attentat à l'explosif à son domicile.
lepoint.fr : Et vous personnellement, vous n'avez jamais été menacé ?
Claude Durand : Une fois, au Seuil, comme je publiais beaucoup de dissidents russes à l'époque, les services soviétiques m'ont envoyé un faux dissident, et j'ai compris que de ce côté, on voulait voir à quoi je ressemblais.
lepoint.fr : Et ça vous freine, ce genre de mésaventure ?
Claude Durand : On ne se refait pas : plus on cherche à me mettre des bâtons dans les roues, plus je m'obstine.
Épisode 3 : petits meurtres entre amis, les moeurs de l'édition
Dans le vase clos du monde de l'édition, les coteries font la loi. Petit décryptage du milieu par Claude Durand.
lepoint.fr : Il était question de vous dans le livre-règlement de comptes Point de côté de Josyane Savigneau (critique littéraire au Monde , ndlr)...
Claude Durand : Dans ce témoignage intéressant qui n'a pas eu tout l'écho ni toute la carrière qu'il méritait, elle rappelle nos déjeuners où je faisais exactement ce que font les éditeurs et leurs attachées de presse : je lui exposais le programme de notre maison d'édition, sans rien exiger d'elle, comme elle le sous-entend : c'eût été la sous-estimer.
lepoint.fr : On dit pourtant que vous étiez très lié auMonde des Livres , avant de saborder cette relation en publiant en 2003 La Face cachée du Monde de Pierre Péan et Philippe Cohen ?
Claude Durand : Depuis toujours, Le Monde était mon journal favori. J'ai connu son fondateur, Hubert Beuve-Méry, ses successeurs, Jacques Fauvet, André Fontaine, qui ont été de nos auteurs. Pendant ma première décennie chez Fayard, les deux tiers au moins de notre budget publicité allaient auMonde . Cela comptait. Nous avions des relations on ne peut plus étroites. Lorsqu'une nouvelle équipe s'est mise en place et qu'on a vu se développer une certaine mégalomanie visant à créer un grand groupe en s'endettant et en se fragilisant, j'ai été de ceux qui trouvaient ce pari déraisonnable. Puis, quand j'ai vu ce journal ne plus se borner à se vouloir partie du "quatrième pouvoir", mais ambitionner de devenir en quelque sorte le "premier des pouvoirs" en lançant des campagnes biaisées contre des hommes politiques, des chefs d'entreprise, des intellectuels, en tentant de faire ou défaire ministres et gouvernements, j'ai senti qu'il fallait faire quelque chose. Certains comportements n'étaient pas recevables du point de vue d'un organe de presse. Et c'est à ce moment que Pierre Péan est venu me voir avec ce sujet d'enquête que la plupart des autres grands éditeurs avaient décliné, peu disposés à s'attaquer au Monde .
lepoint.fr: Les autres éditeurs ont exercé une sorte de censure tacite ? Vous pensez que ça existe encore aujourd'hui ce genre de pratique?
Claude Durand : À l'époque, une fois la brèche ouverte par le livre de Péan et Cohen, tous les médias s'y sont engouffrés, y compris la télévision, même s'il y a eu d'abord des consignes de silence dans le service public. Aujourd'hui, oui, je pense que l'omerta ou l'autocensure peuvent sévir, et peut-être même encore plus qu'avant ; mais je reconnais en même temps à tout un chacun le droit de ne pas se "mouiller" pour des idées qu'il ne partage pas, même si c'est ce que je fais par exemple avec un auteur comme Renaud Camus...
lepoint.fr: François Weyergans élu récemment à l'Académie française, qu'en avez-vous pensé ?
Claude Durand : Être élu académicien après avoir écrit en hâte vingt ou trente lettres d'éloges... Beaucoup ont regardé cela avec le sourire ; c'est une façon de prendre les choses. Jérôme Garcin a estimé cela plutôt dégradant. Entre les deux attitudes, il y a l'indifférence. Je la partage.
lepoint.fr: François Weyergans n'a pas donné suite à notre demande d'interview à ce sujet. Comment expliquez-vous cette élection ?
Claude Durand : Il faut se rappeler que lorsqu'il a publié Trois jours chez ma mère en 2005, pour lequel il a obtenu le prix Goncourt, un autre livre de lui, Salomé , est sorti chez l'éditeur Léo Scheer. Or il s'avère que Léo Scheer est éditeur et intime de Nathalie Rheims, laquelle Nathalie Rheims est la fille du défunt académicien Maurice Rheims, dont le siège était à pourvoir à l'occasion de cette élection. Voilà sans doute une partie de l'explication.
lepoint.fr : Vous voulez dire que l'élection aurait été biaisée ?
Claude Durand : Je n'en sais rien du tout. Il n'est pas exclu que la famille ou les proches du défunt titulaire d'un fauteuil aient leur mot à dire sur le possible successeur qui prononcera son éloge. Mais ce qui est dramatiquement drôle, c'est que certains Immortels aient pu être sensibles à ces compliments à l'arraché, si l'on peut dire. Il faut dire que Weyergans n'a été élu que par douze voix sur trente-neuf vivants. Ce qui ne fait même pas une minorité de blocage... On peut comprendre que certains de ses compétiteurs l'aient eue saumâtre.
lepoint.fr : Et l'obtention du prix Goncourt de Weyergans, face auquel vous espériez que Houellebecq l'emporterait, c'était également une question d'accointances ?
Claude Durand : Dans ce cas, je sais parfaitement comment les choses se sont passées, mais je ne souhaite pas épiloguer. De tout temps, dans le système des prix littéraires, la pratique courante, c'est le troc des voix. Il n'est que de lire le journal de Brenner. Chaque éditeur "primable" a parmi ses auteurs un certain nombre de jurés des différents prix. Si, par exemple, j'ai deux membres du Goncourt, qui sont mes amis, ou bien sous influence, et que j'ai trois membres au Renaudot, deux au Médicis et un au Femina, je peux m'arranger avec le Seuil, Gallimard ou telle autre maison, également bien pourvue, et lui proposer d'échanger sa voix au Renaudot contre deux miennes au Médicis. On dirait une sorte de club échangiste ! Il y a des tractations directes ou indirectes entre ce que l'on appelle "Galligrasseuil", les éditions Gallimard, Grasset et Le Seuil, auxquelles il faut ajouter Albin Michel, et, désormais, Actes Sud et Stock. Entre aussi en ligne de compte le profit tiré de la distribution d'un prix littéraire : un petit éditeur distribué par un gros peut se voir récompensé pour cette raison-là.
lepoint.fr : Comme par exemple le Goncourt 2008, attribué à Atiq Rahimi (pour Syngué sabour, ndlr) , publié chez Pol mais distribué par Gallimard, dont Pol est une filiale. Tous les jurés sont-ils "vendus" ?
Claude Durand : Non, ça ne veut pas dire que tous les jurés sont corrompus, mais il est évident qu'ils ne donneront pas leur voix à un éditeur comme moi qui ne participe pas à ce jeu : leur vote serait gaspillé, perdu. Le problème, c'est que c'est un système qui perdure et se reproduit, malgré de louables efforts pour l'assainir. On voit nombre de petits prix rééditer le même schéma. Les plus jeunes jurés usent exactement du même procédé. Ça leur donne un petit pouvoir, ça leur permet d'occuper une petite place dans les lettres parisiennes et de tenir un peu sous dépendance - croient-ils - leur éditeur.
lepoint.fr : Et vous-même, n'avez-vous pas profité de ce système ?
Claude Durand : Mais oui : j'ai décroché le prix Médicis lorsque j'étais auteur et éditeur chez Grasset.
lepoint.fr: Par ce biais ?
Claude Durand : Je l'ai eu certainement pour ce type de raisons même si, ensuite, on m'a informé que tous les jurés Grasset du Médicis n'avaient pas forcément voté pour moi...
lepoint.fr : D'avoir obtenu un prix littéraire dans ces conditions, et de le savoir, n'est-ce pas dévalorisant ?
Claude Durand : Non, pas du tout. En arrivant chez Grasset, je côtoyais des écrivains de gros calibre qui ne me connaissaient guère. Je manquais d'un certain statut littéraire ; ce que ce prix me conféra.
lepoint.fr : C'était donc bon pour votre stratégie de carrière, mais pour votre ego ?
Claude Durand : Oh, j'ai la faiblesse de penser que mon livre méritait ce prix au sens où l'on dit qu'on mérite un bon point ou une paire de claques, la Légion d'honneur et la prison perpétuelle. Mais je n'aurais pas fait une jaunisse de ne rien avoir. C'est Bernard Privat, en fait, qui tenait beaucoup à ce que ce roman soit couronné, mais je lui suis surtout reconnaissant de m'avoir incité à le terminer, ce que je n'aurais sans doute pas fait sans lui.
lepoint.fr : C'est paradoxal !
Claude Durand : C'est ainsi.
Épisode 4 : Y a-t-il une vie après Durand ?
Au cours de sa longue et trépidante carrière, Claude Durand ne s'est pas fait, on s'en doute, que des amis. Le départ du directeur de Fayard, après vingt-neuf ans de bons et loyaux services, était redouté par certains, espéré de longue date par d'autres. Les rumeurs de "retraite" de l'Empereur Claude allaient même plutôt bon train ces dernières années, l'âge aidant. Et une page se tourne effectivement dans l'histoire de l'édition en avril 2009 : Claude Durand passe le flambeau à Olivier Nora, pdg de l'ex-maison ennemie, Grasset.
lepoint.fr : En 1995, vous avez un problème de santé grave. On vous croit mort, et vous revenez en piste. Qu'est-ce qui vous fait arrêter cette fois ?
Claude Durand : J'avais trop fumé de Gauloises sans filtre et j'ai eu un problème respiratoire, que je cultive toujours au demeurant. Ça m'a valu quinze jours d'hospitalisation, et le bruit s'est vite répandu : "Ça y est, la succession est ouverte !" Mais je suis revenu, non-fumeur et en assez bonne forme. Trois facteurs étaient susceptibles de m'arrêter : un nouveau problème de santé, l'ennui, la routine ou un désaccord avec mon actionnaire, c'est-à-dire une mise en cause de ma politique éditoriale. Aujourd'hui, l'âge venu, c'est le chef d'entreprise qui se retire, pas l'éditeur au sens littéraire du mot.
lepoint.fr : Olivier Nora, qui chapeaute désormais Fayard en plus de Grasset, a été annoncé comme étant votre "successeur". Vous avez quitté votre grand bureau du cinquième étage pour investir un local pour le moins étrange, en marge des locaux Fayard, mais accessible malgré tout depuis ceux-ci. Est-ce un lieu stratégique pour ménager la sensibilité d'Olivier Nora, ou la vôtre ? En somme, êtes-vous une nouvelle annexe, ou mis à l'index ?
Claude Durand : Je suis dans les murs de Larousse à quelques mètres de Fayard. On accède à mon bureau par une porte communicante entre les deux immeubles. Ce lieu, c'est moi qui l'ai souhaité, car il définit assez bien ma position, à la fois de conseiller auprès du président de Hachette Livre, Arnaud Nourry, et d'administrateur de Fayard. Je n'ai plus de responsabilités managériales chez Fayard ; en revanche, je me suis engagé à suivre un certain nombre d'auteurs qui souhaitent continuer à publier chez Fayard à cette condition.
lepoint.fr : Vous ne parvenez pas à lâcher le métier ?
Claude Durand : Ce sont parfois aussi les auteurs ou bien les projets en cours qui ne veulent pas me lâcher ! La gestion des droits mondiaux de Soljenitsyne, par exemple, c'est quelque chose que je connais par coeur, ce n'est pas un domaine transmissible du jour au lendemain.
lepoint.fr : Quels conseils donner aux jeunes auteurs qui souhaitent réussir ? Envoyer un manuscrit par La Poste ou travailler son réseau ?
Claude Durand : On peut envoyer par La Poste. Ça ne présente, à mon avis, aucun inconvénient, car du fait de la pluralité des maisons et de la qualité de nombreux cadres éditoriaux, un très bon livre n'échappera pas, me semble-t-il, à la publication. Ce qui est vrai, c'est qu'à mes débuts, lorsqu'un manuscrit n'était pas au point, mais qu'il émanait d'un garçon ou d'une fille de 16-20 ans, on suivait l'auteur, on le faisait travailler. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus expéditif : on envoie une lettre type, on ne se soucie même pas de l'âge des auteurs, alors qu'il est très différent de produire un texte assez bon, mais perfectible à 18 ans ou à 50 ans. Ce soin-là n'est plus ou pas suffisamment apporté. C'est pour cela qu'il peut être intéressant, pour un jeune auteur, d'avoir quelqu'un qui conseille et aiguille, soit dans la presse, soit dans l'édition.
lepoint.fr : L'arrivée de votre successeur, Olivier Nora, de la maison ennemie, cela se passe comment ?
Claude Durand : Toute transition est une passe délicate, mais les enjeux sont si importants que chacun y met sa meilleure volonté. L'important est que la présidence conjointe des deux maisons, Grasset et Fayard, s'exerce dans le respect de l'identité de chacune. C'est comme dans les familles recomposées : tout le monde doit faire l'effort de s'adapter et s'adopter mutuellement. Je sais ce que c'est que de reprendre une entreprise : c'est un être collectif qui a une histoire, un patrimoine génétique, un rythme de vie, des ambitions. On croit la conduire, mais elle vous conduit tout autant. Je veux croire que tout ce qui a été fait chez Fayard depuis trente ans trouvera chez Olivier à la fois un continuateur et un novateur. C'est cela une succession : imprimer sa marque à un héritage. À la tête d'un État comme d'une entreprise, nul n'est obligé de parler rupture pour asseoir sa crédibilité...
Claude Durand : Dans ce témoignage intéressant qui n'a pas eu tout l'écho ni toute la carrière qu'il méritait, elle rappelle nos déjeuners où je faisais exactement ce que font les éditeurs et leurs attachées de presse : je lui exposais le programme de notre maison d'édition, sans rien exiger d'elle, comme elle le sous-entend : c'eût été la sous-estimer.
lepoint.fr : On dit pourtant que vous étiez très lié auMonde des Livres , avant de saborder cette relation en publiant en 2003 La Face cachée du Monde de Pierre Péan et Philippe Cohen ?
Claude Durand : Depuis toujours, Le Monde était mon journal favori. J'ai connu son fondateur, Hubert Beuve-Méry, ses successeurs, Jacques Fauvet, André Fontaine, qui ont été de nos auteurs. Pendant ma première décennie chez Fayard, les deux tiers au moins de notre budget publicité allaient auMonde . Cela comptait. Nous avions des relations on ne peut plus étroites. Lorsqu'une nouvelle équipe s'est mise en place et qu'on a vu se développer une certaine mégalomanie visant à créer un grand groupe en s'endettant et en se fragilisant, j'ai été de ceux qui trouvaient ce pari déraisonnable. Puis, quand j'ai vu ce journal ne plus se borner à se vouloir partie du "quatrième pouvoir", mais ambitionner de devenir en quelque sorte le "premier des pouvoirs" en lançant des campagnes biaisées contre des hommes politiques, des chefs d'entreprise, des intellectuels, en tentant de faire ou défaire ministres et gouvernements, j'ai senti qu'il fallait faire quelque chose. Certains comportements n'étaient pas recevables du point de vue d'un organe de presse. Et c'est à ce moment que Pierre Péan est venu me voir avec ce sujet d'enquête que la plupart des autres grands éditeurs avaient décliné, peu disposés à s'attaquer au Monde .
lepoint.fr: Les autres éditeurs ont exercé une sorte de censure tacite ? Vous pensez que ça existe encore aujourd'hui ce genre de pratique?
Claude Durand : À l'époque, une fois la brèche ouverte par le livre de Péan et Cohen, tous les médias s'y sont engouffrés, y compris la télévision, même s'il y a eu d'abord des consignes de silence dans le service public. Aujourd'hui, oui, je pense que l'omerta ou l'autocensure peuvent sévir, et peut-être même encore plus qu'avant ; mais je reconnais en même temps à tout un chacun le droit de ne pas se "mouiller" pour des idées qu'il ne partage pas, même si c'est ce que je fais par exemple avec un auteur comme Renaud Camus...
lepoint.fr: François Weyergans élu récemment à l'Académie française, qu'en avez-vous pensé ?
Claude Durand : Être élu académicien après avoir écrit en hâte vingt ou trente lettres d'éloges... Beaucoup ont regardé cela avec le sourire ; c'est une façon de prendre les choses. Jérôme Garcin a estimé cela plutôt dégradant. Entre les deux attitudes, il y a l'indifférence. Je la partage.
lepoint.fr: François Weyergans n'a pas donné suite à notre demande d'interview à ce sujet. Comment expliquez-vous cette élection ?
Claude Durand : Il faut se rappeler que lorsqu'il a publié Trois jours chez ma mère en 2005, pour lequel il a obtenu le prix Goncourt, un autre livre de lui, Salomé , est sorti chez l'éditeur Léo Scheer. Or il s'avère que Léo Scheer est éditeur et intime de Nathalie Rheims, laquelle Nathalie Rheims est la fille du défunt académicien Maurice Rheims, dont le siège était à pourvoir à l'occasion de cette élection. Voilà sans doute une partie de l'explication.
lepoint.fr : Vous voulez dire que l'élection aurait été biaisée ?
Claude Durand : Je n'en sais rien du tout. Il n'est pas exclu que la famille ou les proches du défunt titulaire d'un fauteuil aient leur mot à dire sur le possible successeur qui prononcera son éloge. Mais ce qui est dramatiquement drôle, c'est que certains Immortels aient pu être sensibles à ces compliments à l'arraché, si l'on peut dire. Il faut dire que Weyergans n'a été élu que par douze voix sur trente-neuf vivants. Ce qui ne fait même pas une minorité de blocage... On peut comprendre que certains de ses compétiteurs l'aient eue saumâtre.
lepoint.fr : Et l'obtention du prix Goncourt de Weyergans, face auquel vous espériez que Houellebecq l'emporterait, c'était également une question d'accointances ?
Claude Durand : Dans ce cas, je sais parfaitement comment les choses se sont passées, mais je ne souhaite pas épiloguer. De tout temps, dans le système des prix littéraires, la pratique courante, c'est le troc des voix. Il n'est que de lire le journal de Brenner. Chaque éditeur "primable" a parmi ses auteurs un certain nombre de jurés des différents prix. Si, par exemple, j'ai deux membres du Goncourt, qui sont mes amis, ou bien sous influence, et que j'ai trois membres au Renaudot, deux au Médicis et un au Femina, je peux m'arranger avec le Seuil, Gallimard ou telle autre maison, également bien pourvue, et lui proposer d'échanger sa voix au Renaudot contre deux miennes au Médicis. On dirait une sorte de club échangiste ! Il y a des tractations directes ou indirectes entre ce que l'on appelle "Galligrasseuil", les éditions Gallimard, Grasset et Le Seuil, auxquelles il faut ajouter Albin Michel, et, désormais, Actes Sud et Stock. Entre aussi en ligne de compte le profit tiré de la distribution d'un prix littéraire : un petit éditeur distribué par un gros peut se voir récompensé pour cette raison-là.
lepoint.fr : Comme par exemple le Goncourt 2008, attribué à Atiq Rahimi (pour Syngué sabour, ndlr) , publié chez Pol mais distribué par Gallimard, dont Pol est une filiale. Tous les jurés sont-ils "vendus" ?
Claude Durand : Non, ça ne veut pas dire que tous les jurés sont corrompus, mais il est évident qu'ils ne donneront pas leur voix à un éditeur comme moi qui ne participe pas à ce jeu : leur vote serait gaspillé, perdu. Le problème, c'est que c'est un système qui perdure et se reproduit, malgré de louables efforts pour l'assainir. On voit nombre de petits prix rééditer le même schéma. Les plus jeunes jurés usent exactement du même procédé. Ça leur donne un petit pouvoir, ça leur permet d'occuper une petite place dans les lettres parisiennes et de tenir un peu sous dépendance - croient-ils - leur éditeur.
lepoint.fr : Et vous-même, n'avez-vous pas profité de ce système ?
Claude Durand : Mais oui : j'ai décroché le prix Médicis lorsque j'étais auteur et éditeur chez Grasset.
lepoint.fr: Par ce biais ?
Claude Durand : Je l'ai eu certainement pour ce type de raisons même si, ensuite, on m'a informé que tous les jurés Grasset du Médicis n'avaient pas forcément voté pour moi...
lepoint.fr : D'avoir obtenu un prix littéraire dans ces conditions, et de le savoir, n'est-ce pas dévalorisant ?
Claude Durand : Non, pas du tout. En arrivant chez Grasset, je côtoyais des écrivains de gros calibre qui ne me connaissaient guère. Je manquais d'un certain statut littéraire ; ce que ce prix me conféra.
lepoint.fr : C'était donc bon pour votre stratégie de carrière, mais pour votre ego ?
Claude Durand : Oh, j'ai la faiblesse de penser que mon livre méritait ce prix au sens où l'on dit qu'on mérite un bon point ou une paire de claques, la Légion d'honneur et la prison perpétuelle. Mais je n'aurais pas fait une jaunisse de ne rien avoir. C'est Bernard Privat, en fait, qui tenait beaucoup à ce que ce roman soit couronné, mais je lui suis surtout reconnaissant de m'avoir incité à le terminer, ce que je n'aurais sans doute pas fait sans lui.
lepoint.fr : C'est paradoxal !
Claude Durand : C'est ainsi.
Épisode 4 : Y a-t-il une vie après Durand ?
Au cours de sa longue et trépidante carrière, Claude Durand ne s'est pas fait, on s'en doute, que des amis. Le départ du directeur de Fayard, après vingt-neuf ans de bons et loyaux services, était redouté par certains, espéré de longue date par d'autres. Les rumeurs de "retraite" de l'Empereur Claude allaient même plutôt bon train ces dernières années, l'âge aidant. Et une page se tourne effectivement dans l'histoire de l'édition en avril 2009 : Claude Durand passe le flambeau à Olivier Nora, pdg de l'ex-maison ennemie, Grasset.
lepoint.fr : En 1995, vous avez un problème de santé grave. On vous croit mort, et vous revenez en piste. Qu'est-ce qui vous fait arrêter cette fois ?
Claude Durand : J'avais trop fumé de Gauloises sans filtre et j'ai eu un problème respiratoire, que je cultive toujours au demeurant. Ça m'a valu quinze jours d'hospitalisation, et le bruit s'est vite répandu : "Ça y est, la succession est ouverte !" Mais je suis revenu, non-fumeur et en assez bonne forme. Trois facteurs étaient susceptibles de m'arrêter : un nouveau problème de santé, l'ennui, la routine ou un désaccord avec mon actionnaire, c'est-à-dire une mise en cause de ma politique éditoriale. Aujourd'hui, l'âge venu, c'est le chef d'entreprise qui se retire, pas l'éditeur au sens littéraire du mot.
lepoint.fr : Olivier Nora, qui chapeaute désormais Fayard en plus de Grasset, a été annoncé comme étant votre "successeur". Vous avez quitté votre grand bureau du cinquième étage pour investir un local pour le moins étrange, en marge des locaux Fayard, mais accessible malgré tout depuis ceux-ci. Est-ce un lieu stratégique pour ménager la sensibilité d'Olivier Nora, ou la vôtre ? En somme, êtes-vous une nouvelle annexe, ou mis à l'index ?
Claude Durand : Je suis dans les murs de Larousse à quelques mètres de Fayard. On accède à mon bureau par une porte communicante entre les deux immeubles. Ce lieu, c'est moi qui l'ai souhaité, car il définit assez bien ma position, à la fois de conseiller auprès du président de Hachette Livre, Arnaud Nourry, et d'administrateur de Fayard. Je n'ai plus de responsabilités managériales chez Fayard ; en revanche, je me suis engagé à suivre un certain nombre d'auteurs qui souhaitent continuer à publier chez Fayard à cette condition.
lepoint.fr : Vous ne parvenez pas à lâcher le métier ?
Claude Durand : Ce sont parfois aussi les auteurs ou bien les projets en cours qui ne veulent pas me lâcher ! La gestion des droits mondiaux de Soljenitsyne, par exemple, c'est quelque chose que je connais par coeur, ce n'est pas un domaine transmissible du jour au lendemain.
lepoint.fr : Quels conseils donner aux jeunes auteurs qui souhaitent réussir ? Envoyer un manuscrit par La Poste ou travailler son réseau ?
Claude Durand : On peut envoyer par La Poste. Ça ne présente, à mon avis, aucun inconvénient, car du fait de la pluralité des maisons et de la qualité de nombreux cadres éditoriaux, un très bon livre n'échappera pas, me semble-t-il, à la publication. Ce qui est vrai, c'est qu'à mes débuts, lorsqu'un manuscrit n'était pas au point, mais qu'il émanait d'un garçon ou d'une fille de 16-20 ans, on suivait l'auteur, on le faisait travailler. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus expéditif : on envoie une lettre type, on ne se soucie même pas de l'âge des auteurs, alors qu'il est très différent de produire un texte assez bon, mais perfectible à 18 ans ou à 50 ans. Ce soin-là n'est plus ou pas suffisamment apporté. C'est pour cela qu'il peut être intéressant, pour un jeune auteur, d'avoir quelqu'un qui conseille et aiguille, soit dans la presse, soit dans l'édition.
lepoint.fr : L'arrivée de votre successeur, Olivier Nora, de la maison ennemie, cela se passe comment ?
Claude Durand : Toute transition est une passe délicate, mais les enjeux sont si importants que chacun y met sa meilleure volonté. L'important est que la présidence conjointe des deux maisons, Grasset et Fayard, s'exerce dans le respect de l'identité de chacune. C'est comme dans les familles recomposées : tout le monde doit faire l'effort de s'adapter et s'adopter mutuellement. Je sais ce que c'est que de reprendre une entreprise : c'est un être collectif qui a une histoire, un patrimoine génétique, un rythme de vie, des ambitions. On croit la conduire, mais elle vous conduit tout autant. Je veux croire que tout ce qui a été fait chez Fayard depuis trente ans trouvera chez Olivier à la fois un continuateur et un novateur. C'est cela une succession : imprimer sa marque à un héritage. À la tête d'un État comme d'une entreprise, nul n'est obligé de parler rupture pour asseoir sa crédibilité...
lepoint.fr : En 1995, vous avez un problème de santé grave. On vous croit mort, et vous revenez en piste. Qu'est-ce qui vous fait arrêter cette fois ?
Claude Durand : J'avais trop fumé de Gauloises sans filtre et j'ai eu un problème respiratoire, que je cultive toujours au demeurant. Ça m'a valu quinze jours d'hospitalisation, et le bruit s'est vite répandu : "Ça y est, la succession est ouverte !" Mais je suis revenu, non-fumeur et en assez bonne forme. Trois facteurs étaient susceptibles de m'arrêter : un nouveau problème de santé, l'ennui, la routine ou un désaccord avec mon actionnaire, c'est-à-dire une mise en cause de ma politique éditoriale. Aujourd'hui, l'âge venu, c'est le chef d'entreprise qui se retire, pas l'éditeur au sens littéraire du mot.
lepoint.fr : Olivier Nora, qui chapeaute désormais Fayard en plus de Grasset, a été annoncé comme étant votre "successeur". Vous avez quitté votre grand bureau du cinquième étage pour investir un local pour le moins étrange, en marge des locaux Fayard, mais accessible malgré tout depuis ceux-ci. Est-ce un lieu stratégique pour ménager la sensibilité d'Olivier Nora, ou la vôtre ? En somme, êtes-vous une nouvelle annexe, ou mis à l'index ?
Claude Durand : Je suis dans les murs de Larousse à quelques mètres de Fayard. On accède à mon bureau par une porte communicante entre les deux immeubles. Ce lieu, c'est moi qui l'ai souhaité, car il définit assez bien ma position, à la fois de conseiller auprès du président de Hachette Livre, Arnaud Nourry, et d'administrateur de Fayard. Je n'ai plus de responsabilités managériales chez Fayard ; en revanche, je me suis engagé à suivre un certain nombre d'auteurs qui souhaitent continuer à publier chez Fayard à cette condition.
lepoint.fr : Vous ne parvenez pas à lâcher le métier ?
Claude Durand : Ce sont parfois aussi les auteurs ou bien les projets en cours qui ne veulent pas me lâcher ! La gestion des droits mondiaux de Soljenitsyne, par exemple, c'est quelque chose que je connais par coeur, ce n'est pas un domaine transmissible du jour au lendemain.
lepoint.fr : Quels conseils donner aux jeunes auteurs qui souhaitent réussir ? Envoyer un manuscrit par La Poste ou travailler son réseau ?
Claude Durand : On peut envoyer par La Poste. Ça ne présente, à mon avis, aucun inconvénient, car du fait de la pluralité des maisons et de la qualité de nombreux cadres éditoriaux, un très bon livre n'échappera pas, me semble-t-il, à la publication. Ce qui est vrai, c'est qu'à mes débuts, lorsqu'un manuscrit n'était pas au point, mais qu'il émanait d'un garçon ou d'une fille de 16-20 ans, on suivait l'auteur, on le faisait travailler. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus expéditif : on envoie une lettre type, on ne se soucie même pas de l'âge des auteurs, alors qu'il est très différent de produire un texte assez bon, mais perfectible à 18 ans ou à 50 ans. Ce soin-là n'est plus ou pas suffisamment apporté. C'est pour cela qu'il peut être intéressant, pour un jeune auteur, d'avoir quelqu'un qui conseille et aiguille, soit dans la presse, soit dans l'édition.
lepoint.fr : L'arrivée de votre successeur, Olivier Nora, de la maison ennemie, cela se passe comment ?
Claude Durand : Toute transition est une passe délicate, mais les enjeux sont si importants que chacun y met sa meilleure volonté. L'important est que la présidence conjointe des deux maisons, Grasset et Fayard, s'exerce dans le respect de l'identité de chacune. C'est comme dans les familles recomposées : tout le monde doit faire l'effort de s'adapter et s'adopter mutuellement. Je sais ce que c'est que de reprendre une entreprise : c'est un être collectif qui a une histoire, un patrimoine génétique, un rythme de vie, des ambitions. On croit la conduire, mais elle vous conduit tout autant. Je veux croire que tout ce qui a été fait chez Fayard depuis trente ans trouvera chez Olivier à la fois un continuateur et un novateur. C'est cela une succession : imprimer sa marque à un héritage. À la tête d'un État comme d'une entreprise, nul n'est obligé de parler rupture pour asseoir sa crédibilité...
Claude Durand : J'avais trop fumé de Gauloises sans filtre et j'ai eu un problème respiratoire, que je cultive toujours au demeurant. Ça m'a valu quinze jours d'hospitalisation, et le bruit s'est vite répandu : "Ça y est, la succession est ouverte !" Mais je suis revenu, non-fumeur et en assez bonne forme. Trois facteurs étaient susceptibles de m'arrêter : un nouveau problème de santé, l'ennui, la routine ou un désaccord avec mon actionnaire, c'est-à-dire une mise en cause de ma politique éditoriale. Aujourd'hui, l'âge venu, c'est le chef d'entreprise qui se retire, pas l'éditeur au sens littéraire du mot.
lepoint.fr : Olivier Nora, qui chapeaute désormais Fayard en plus de Grasset, a été annoncé comme étant votre "successeur". Vous avez quitté votre grand bureau du cinquième étage pour investir un local pour le moins étrange, en marge des locaux Fayard, mais accessible malgré tout depuis ceux-ci. Est-ce un lieu stratégique pour ménager la sensibilité d'Olivier Nora, ou la vôtre ? En somme, êtes-vous une nouvelle annexe, ou mis à l'index ?
Claude Durand : Je suis dans les murs de Larousse à quelques mètres de Fayard. On accède à mon bureau par une porte communicante entre les deux immeubles. Ce lieu, c'est moi qui l'ai souhaité, car il définit assez bien ma position, à la fois de conseiller auprès du président de Hachette Livre, Arnaud Nourry, et d'administrateur de Fayard. Je n'ai plus de responsabilités managériales chez Fayard ; en revanche, je me suis engagé à suivre un certain nombre d'auteurs qui souhaitent continuer à publier chez Fayard à cette condition.
lepoint.fr : Vous ne parvenez pas à lâcher le métier ?
Claude Durand : Ce sont parfois aussi les auteurs ou bien les projets en cours qui ne veulent pas me lâcher ! La gestion des droits mondiaux de Soljenitsyne, par exemple, c'est quelque chose que je connais par coeur, ce n'est pas un domaine transmissible du jour au lendemain.
lepoint.fr : Quels conseils donner aux jeunes auteurs qui souhaitent réussir ? Envoyer un manuscrit par La Poste ou travailler son réseau ?
Claude Durand : On peut envoyer par La Poste. Ça ne présente, à mon avis, aucun inconvénient, car du fait de la pluralité des maisons et de la qualité de nombreux cadres éditoriaux, un très bon livre n'échappera pas, me semble-t-il, à la publication. Ce qui est vrai, c'est qu'à mes débuts, lorsqu'un manuscrit n'était pas au point, mais qu'il émanait d'un garçon ou d'une fille de 16-20 ans, on suivait l'auteur, on le faisait travailler. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus expéditif : on envoie une lettre type, on ne se soucie même pas de l'âge des auteurs, alors qu'il est très différent de produire un texte assez bon, mais perfectible à 18 ans ou à 50 ans. Ce soin-là n'est plus ou pas suffisamment apporté. C'est pour cela qu'il peut être intéressant, pour un jeune auteur, d'avoir quelqu'un qui conseille et aiguille, soit dans la presse, soit dans l'édition.
lepoint.fr : L'arrivée de votre successeur, Olivier Nora, de la maison ennemie, cela se passe comment ?
Claude Durand : Toute transition est une passe délicate, mais les enjeux sont si importants que chacun y met sa meilleure volonté. L'important est que la présidence conjointe des deux maisons, Grasset et Fayard, s'exerce dans le respect de l'identité de chacune. C'est comme dans les familles recomposées : tout le monde doit faire l'effort de s'adapter et s'adopter mutuellement. Je sais ce que c'est que de reprendre une entreprise : c'est un être collectif qui a une histoire, un patrimoine génétique, un rythme de vie, des ambitions. On croit la conduire, mais elle vous conduit tout autant. Je veux croire que tout ce qui a été fait chez Fayard depuis trente ans trouvera chez Olivier à la fois un continuateur et un novateur. C'est cela une succession : imprimer sa marque à un héritage. À la tête d'un État comme d'une entreprise, nul n'est obligé de parler rupture pour asseoir sa crédibilité...
@ martin,
ben oui, Cohen-Solal le retour...
je ne peux pas m'en passer!
Ce n'est pas bien que Durand soit bien; ce qui est mal c'est que le moule est cassé et que je le regrette!
Et le Prix Clara sert aussi à cela et comme nous nous le sommes dit avec Orsenna si en 5 ans nous trouvons 3 auteurs ce sera déjà très bien!
Rédigé par : Gillou le Fou | 29 août 2009 à 11:51
Ben re bons jours donc. Question, pourquoi est-ce bien que Durand soit bien? Ce qui me semble important dans ces quatre colonnes c'est le temps qu'il faut prendre pour éditer les auteurs de 16 à 20 ans. Clara est un peu just, mais c'est déjà très important pour l'auteur de nouvelles qui peuvent ne pas être érotiques.
Rédigé par : martingrall | 28 août 2009 à 19:53