Voici un aperçu ,
tous les jours un petit bout...
Il y a vraiment eu des moments formidables!
Où le choquisme le dispute à la stupeurité, et où l’on redécouvre les charmes de l’un des plus vieux métiers du monde.
Vous avez l’impression de ne plus rien comprendre, que le monde vous échappe, qu’il tourne de plus en plus vite alors que vous faites du sur-place ? Rassurez-vous, la chronique est là pour vous permettre de briller malgré tout dans les salons en distillant d’un air serein quelques vérités premières sur les arcanes géostratégiques de notre temps, le tout sans rien y entendre en réalité. (Ce que font tous les journalistes, soyez-en sûrs.)
Nous pourrions commencer par vous entraîner dans les méandres de “l’Affaire Litvinenko” qui, nous n’en doutons pas une seule seconde, doit vous passionner comme elle nous passionne. Mais nous nous sommes dit qu’en ce début d’année, il serait peut-être de meilleur goût de notre part de donner un petit coup de pouce à un métier aussi injustement décrié que menacé de disparition. Nous nous sommes également dit que, vos dures-mères étant encore cloquées à la suite de nos explications (pourtant limpides) sur l’Affaire Clearstream, il était peut-être prudent de vous laisser reposer un peu avant de vous asséner de nouveau autant de vérités d’un coup. L’énigme de l’assassinat d’un ex-espion russe converti à l’islam dans un restaurant japonais de Londres alors qu’il déjeunait avec un ancien agent des services spéciaux italiens lui-même ami de mafieux israéliens et contact pour Rome de l’ultradroite américaine, laquelle aurait fait appel à ses services pour livrer des armes à l’Iran, assassinat perpétré à coup de produit radioactif subtilement saupoudré sur les sushi et habilement importé de Pologne par l’ambassade britannique, cette énigme-là, donc, eh bien, ce sera pour une autre fois.
Reconnaissons-le, heureusement qu’il y a l’Irak. Terre lointaine auréolée des mystères de l’Orient, au carrefour du modernisme et de la tradition, l’Irak ne nous déçoit pas. Car sans l’Irak aujourd’hui, qui parmi notre belle jeunesse pourrait se sentir attiré par la carrière de militaire américain, par exemple ? Ou de terroriste ? Ou, et c’était là que nous souhaitions en venir, de bourreau ?
Ah, bourreau ! Qu’il est loin le temps heureux où l’on entendait dans nos ruelles sinueuses et malodorantes les sympathiques interjections des bourreaux itinérants qui, comme les vitriers, les porteurs d’eau et les rémouleurs, proposaient leurs services à l’heure ou à la journée. Eh oui, exécuteur à la criée, un petit métier hélas ! crucifié sur l’autel de la modernité. Le passage au tout-guillotine, après des siècles de diversité et d’inventivité, fut une véritable catastrophe pour ce secteur aujourd’hui oublié. Imaginez un peu : qu’est-il advenu des fabricants de pieux (pour les empalements), de roues (des roues spéciales, hein, attention, on ne rouait pas vif sur des Firestone chipés à la va-vite dans un supermarché), d’attelages à quatre (l’écartèlement était une science exacte, comme la pendaison, mais nous y reviendrons) ? Que dire des charpentiers (et les potences, elles s’érigeaient toutes seules, peut-être ?), des éleveurs de chevaux (pour l’écartèlement, encore), des forgerons spécialistes des jolies cages ouvragées et festives où l’on exhibait les condamnés à l’entrée des villes ? Et les artisans hachers (mais si, les fabricants de haches, quoi. Ah, mais oui, figurez-vous que la hache de bourreau, ça n’a rien à voir avec celle du bûcheron. Tout est question d’équilibre. Si votre hache est mal équilibrée, elle ne tombe pas droit, et il faut s’y reprendre à plusieurs fois. Un vrai métier, on vous dit. Et ces pauvres gens qui ne vivaient que de leur capacité à tisser des vêtements inflammables pour les hérétiques. Pour ne rien dire de tous ces miséreux qui gagnaient quelques piécettes en rapportant au bourreau du bois sec les jours de grand bûcher. Autant de professionnels de haut niveau qui furent irrémédiablement poussés au chômage par l’adoption de la guillotine. Une fois sur le pavé, ils n’eurent d’autre solution que de le prendre (le pavé) et de le lancer sur la maréchaussée, et ce fut le début de la Révolution. Laquelle, comme on sait, fit les beaux jours de la guillotine. De là à dire que l’infâme docteur Guillotin avait tout prévu… Mais, et que cela nous serve de leçon en cette époque d’uniformisation, la guillotine elle-même finit par être mise au rebut. Du monde pittoresque et foisonnant du zigouillage légal, il ne nous reste désormais qu’un unique vestige, la grâce présidentielle. (Etre gracié pour une contredanse, c’est quand même moins classe que d’échapper au gibet, au crochet de boucher, aux brodequins ou à la toupie berlinoise.) Avouez quand même que c’est bien triste.
Alors qu’en Irak, au contraire, de ce côté-là, ça prospère. Miracle du croisement entre le dernier cri de la technologie moderne (et du condamné) et le respect de traditions millénaires, nous pouvons désormais goûter aux pendaisons en léger différé filmées sur le portable du bourreau. En plus, à force de téléscoper des genres que tout oppose a priori, on innove. Ainsi, ce n’est pas sans fierté que Bagdad a annoncé à une communauté internationale muette d’admiration que ses exécuteurs venaient tout juste d’inventer la décapitation à la corde. Comme le disait, dans un éditorial anonyme (cagoulé de noir), le célèbre Potence magazine, “une pendaison, ça ne s’improvise pas. [Avis à tous les pendeurs de crémaillères du dimanche…] Il faut calculer la longueur de la corde en fonction du poids du client, et non l’inverse”. La scène, contrairement à la pendaison de Saddam Hussein, n’a pas été retransmise sur les écrans du monde entier, pour une raison bien simple : l’espionnage industriel. S’il y a un domaine où fait rage ce fléau des temps modernes, c’est bien celui de l’exécution des condamnés à mort. Prenons le cas de l’un des derniers criminels envoyés ad patres aux Etats-Unis. Leur méthode est tellement dépassée, là-bas, qu’ils ont dû le piquouser un nombre incalculable de fois avant qu’il crève. Alors que s’ils avaient eu une corde tranchante… D’ailleurs, preuve que les Irakiens ont intérêt à se méfier, depuis la pendaison de Saddam, les Japonais, grands copieurs devant l’Eternel, se sont dépêchés de pendre quatre de leurs propres condamnés à mort.
Vous vous rendez compte ? Les Irakiens ont mis au point l’arme absolue, la corde tranchante. Plus besoin de métal, du chanvre suffit ! A partir de là, tout est possible, avec une telle prouesse technologique. A quand les chars en osier et les bombes en coton ? Ils sont redoutables, ces diables d’Irakiens ! En plus, ils ont une justice à la mesure de leurs méthodes d’exécution, voire encore plus en avance sur son temps : les juges ont décidé, après avoir veillé à ce que la pendaison de leur dictateur préféré soit convenablement retransmise sur les meilleures chaînes de télévision en pleine période de fête (la plus porteuse, tous les annonceurs vous le diront, surtout les fabricants de corde. Et la portance, c’est le secret d’une pendaison réussie, on ne le répétera jamais assez), que finalement, il avait été assez puni comme ça et qu’ils lui faisaient grâce des autres chefs d’accusation. C’est pas de la magnanimitude, ça, comme on dit sur la muraille de Chine ?
Commentaires