Il y a parmi les journalistes critiques littéraires deux garçons qui trouvent grâce à mes yeux.
Eric Neuhoff et Patrick Besson.
Ils ont de l'insolence et du talent.
Pour parler de tout et souvent de rien.
Eric parle très bien du cinéma et surtout des actrices et Patrick de tout et surtout de rien!
Qu'il raconte ses vacances en Corse ou un réveillon russe, il se démerde toujours pour qu'il y ait un lien avec la culture ou ce qui croit en être.
Dans le cas qui nous occupe le réveillon russe à La Closerie des Lilas.
Je vous laisse déguster...
Patrick est un ami, la Closerie un deuxième chez moi et le 13 janvier 2008 restera à jamais gravé dans ma vie...
Toutes les raisons pour trouver ce papier formidable, à mes yeux!
Nouvel an rustre
Patrick Besson
Ces gens qui se lèvent de table pendant les repas pour aller fumer dehors, laissant les non-fumeurs entre eux : la première fois que j'ai vu ça, c'était l'an dernier, à Rome, où il était déjà interdit de fumer dans les restaurants. Je l'ai vécu de nouveau le 13 janvier, au réveillon russe de La Closerie des lilas. On était dix à table : trois fumeurs, sept non-fumeurs. Les fumeurs ont quitté la salle avant les zakouski (caviar, tarama de corail d'oursins, anguille fumée, oeufs de saumon, coeur de saumon sauvage d'Ecosse, carpaccio de saint-jacques et crevettes), après le bortsch du tsar et entre le filet de boeuf Strogonoff au riz pilaf et le balkaï, dessert russe à la poire. Ils retrouvaient, à l'entrée de La Closerie, d'autres fumeurs qui avaient eux aussi abandonné leur siège. Au lieu d'un réveillon, il y en avait deux : celui des fumeurs dehors et celui des non-fumeurs dedans. Lequel était le plus sympa ? Aucun doute : l'ambiance était meilleure chez les fumeurs. Pas difficile de comprendre pourquoi. Depuis l'enfance, on nous a interdit de quitter une table au milieu du déjeuner ou du dîner. Alors qu'on a si souvent envie de le faire. Pour la première fois dans l'histoire de la politesse, les gens ont le droit, à condition d'être fumeurs, de laisser en plan les autres convives. Le plaisir qu'ils en retirent est à la hauteur des persécutions qu'on leur fait subir depuis plusieurs années. Au fond, qui sont les non-fumeurs restés dans la salle ? Des gens à cause de qui les fumeurs ne peuvent plus fumer dans les bars, les boîtes de nuit, les aéroports, les gares et les restaurants. Ils ne s'en rendaient pas compte avant de se retrouver tous ensemble sur le trottoir, mais ils les haïssent. En écrasant leur mégot, ils se font un petit signe de connivence : ils vont retourner faire la gueule aux non-fumeurs pendant une vingtaine de minutes, puis reviendront rigoler entre eux en plein air enfumé. Ce n'est pas encore la guerre civile, mais c'est déjà l'incivilité.
La Closerie était plus riante, quelques jours plus tôt, avec un ami suisse, le journaliste de La liberté de Fribourg , Pascal Bertschy, sa ravissante épouse brésilienne, Tania, une amie de celle-ci, Maria, également brésilienne, et son fils de 12 ans, Rafael, qui a débarqué de São Paulo en septembre dernier et parle déjà un excellent français avec l'accent suisse. Je ne sais pas qui parmi nous était fumeur. Rafael, peut-être ?-mais comme nous avions tous déjà pris un train ou un avion long-courrier, nous avions appris à ne pas fumer pendant plusieurs heures et nous sommes restés ensemble, des huîtres merveilleuses aux adorables profiteroles. La Closerie, c'est de mieux en mieux, surtout entre gens de bonne compagnie. Peut-être ne les trouve-t-on plus qu'en Suisse. Et au Brésil.
Parmi les fumeurs du 13 janvier, il y avait Carole Chrétiennot et Stephanie Janicot, fondatrices du prix Lilas. Carole est la directrice de communication de La Closerie et du Flore. Stéphanie est romancière chez Albin Michel et journaliste à Muze . Le prix Lilas est un jury de femmes qui couronne chaque année un roman de femme. Les jurées-parmi lesquelles Amanda Sthers, Isabelle Alonso, Michèle Fitoussi et Adélaïde de Clermont-Tonnerre...-se réunissent à La Closerie des lilas, reçues par le propriétaire, Miroslav Siljegovic, dont l'éloge n'est pas à faire, vu son nom serbe. Cette année, le problème de la cigarette se posera également pour elles. Au lieu de deux réveillons, il y aura deux réunions : celle des fumeuses et celle des non-fumeuses. D'après mes informations, les fumeuses sont beaucoup plus nombreuses que les non-fumeuses. Elles feront la loi. Le montant du prix est de 4 000 euros, que la lauréate devra manger à La Closerie, malgré son probable régime
Comme quoi l'interdit sera toujours une connerie, sauf pour les Suisses. Qui à leur décharge n'ont pas une longue tradition de palefrenier. Où plus simplement une certaine propension à l'esclavage et au j'en foutre. Teins la prochaine fois je sortirai un Pelot. On ne lit pas à table, ben tiens!
Rédigé par : martingrall | 31 janvier 2008 à 09:33