Il faut , de temps en temps, s'incliner devant plus grand que soi. C'est une épreuve de modestie bien aisée lorsqu'il s'agit de le faire devant Henri Troyat , né Lev Tarassov.
Il est absolument remarquable qu'il disparaisse au moment où Emmanuel Carrère fait paraître "Un Roman russe" chez P.O.L excellent éditeur par ailleurs, par ailleurs quoi? Par ailleurs rien, juste excellent éditeur!
La Russie évoquée à travers leurs livres ne peut-être qu'éternelle, avec la fascination et les craintes qu'elle inspire.
La Sainte Russie...
En lisant E.Carrère et en repensant aux romans de H.Troyat je me suis replongé avec délice à l'âge où j'ai découvert Tolstoï, Pouchkine, Tchékov et surtout Dostoïevski (que je tiens pour le plus grand romancier du monde de l'âme humaine et de ses tourments...).
J'ai essayé de me souvenir de l'histoire de la Russie depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu'à nos jours, essayé de la comprendre et j'en suis arrivé à la conclusion qu'un peuple dont le pays allait de l'Oural au Pacifique ne pouvait avoir qu'une grande âme pour l'occuper!
Et puis me sont revenus quelques souvenirs de Joseph Kessel, le goût de la vodka et mes souvenirs de Moka Limon , le premier amiral de la marine israëlienne, né en russie il y a 83 ans , commandant de l'Exodus et héros d'Israël.
Et puis des concerts où les musiques de Rachmaninov, de Tchaïkovsky interprétées par Oïstrakh et Rostropovitch enlevaient les angoisses et emportaient les tourments.
Et puis de la lecture de Soljénytsine et des horreurs contenues dans "l'Archipel du Goulag" , et je me suis dit ce matin que la Russie avait un don rare pour produire du génie et ce ne sont ni Karpov,ni Kasparov qui me contrediront...
Alors comment se fait il qu'avec autant de talents, d'espaces et de créations en tous genres à travers les âges la Russie ne puisse faire autrement que de passer de Staline à Poutine en instaurant un système mafieux d'état ?
Toujours est il que les seules créations venant de la Russie à travers les âges ( avec une préférence pour le caviar et la vodka) suffiraient à meubler un univers artistique entier, à commencer par le mien!
Parce qu'Henri Troyat le mérite , je livre à votre curiosité trois textes venant du Monde, du Figaro et de Libération qui disent chacun à leur façon qui était ce géant russe.
l était l'auteur d'une centaine de livres et, selon les sondages, l'auteur préféré des Français. Le romancier et biographe Henri Troyat, doyen de l'Académie française, est mort, dimanche 4 mars. Il était âgé de 95 ans.
On se souvient de lui, ces derniers temps, dans son appartement de la rue de Rivoli, à Paris, mais on se le rappelle mieux encore dans cet hôtel particulier de la rue Bonaparte où il avait vécu tant d'années en sédentaire, ennemi des mondanités. Il venait vous accueillir, imposante silhouette de colosse à lunettes d'écaille. Et le contraste était saisissant entre ce géant bâti pour chevaucher les plaines du Caucase et cette timidité, cet effacement courtois qui invitait à une égale retenue. On traversait les salons où l'on remarquait le fameux écritoire devant lequel il avait longtemps travaillé debout, sous la protection de l'icône familiale, et le célèbre"repose-fesses", "pour le cas où les jambes fléchissent". Mais Troyat vous savait gré de ne guère aborder sa vie privée. Il appartenait à une génération pour laquelle le respect des autres et de soi commandait de ne pas se mettre en avant.
Il fallait voir là, aussi, un réflexe de romancier qui, n'aimant pas "se raconter", éprouvait le besoin de se masquer. Ainsi, dans le plus autobiographique de ses romans, Aliocha, le jeune émigré de 13 ans qui découvre la France lui ressemble comme un frère. Troyat fuyait l'autobiographie : "J'aurais été gêné aux entournures si j'avais dû raconter ma propre histoire." Cette histoire, c'est celle de Lev Aslanovitch Tarassov, né le 1er novembre 1911 à Moscou, et devenu 24 ans plus tard, sur les conseils de Plon, Henri Troyat. Pour le jeune Lev (Léon), la vie commence dans l'opulence : ses parents, riches négociants sous Nicolas II, possèdent de grands comptoirs de vente de drap ainsi que des compagnies de chemin de fer. Une gouvernante suisse lui apprend le français, tandis que sa nounou, sa niania, le nourrit de légendes russes et de dictons populaires – deux femmes qui symbolisent déjà une destinée partagée entre deux cultures.
La révolution va chambouler ce cadre. Il se la rappelle comme un moment de "grande excitation" : "Les domestiques avaient cloué des matelas aux fenêtres par crainte des éclats d'obus et des balles de mitrailleuses", racontait-il. Fuite hors de Moscou, traversée d'un pays déchiré par la guerre civile, exode dans un wagon à bestiaux, Noël sur un rafiot bloqué par les glaces de la mer Noire : "Tous ces épisodes sont tellement extraordinaires que je n'ai pas pu tous les utiliser dans mes romans, confiait Troyat. Ils auraient semblé invraisemblables dans une œuvre d'imagination."
HISTOIRES DE SES PARENTS
Pourtant, ses livres sont pleins d'images de Russie. Une Russie recomposée. Toute sa vie, il refusera d'y retourner pour mieux conserver ses souvenirs intacts – "la neige est plus propre dans mes rêves". Une "Russie intérieure", réinventée à partir des histoires de ses parents, devenus de modestes émigrés. "Ah! si un jour je pouvais avoir du talent et écrire tout cela", notait à 12 ans le jeune Tarassov dans son journal.
Le talent vint et, avec lui, la reconnaissance des prix. Troyat n'a que 24 ans lorsqu'il reçoit le prix Populiste pour son premier livre, Faux-Jour. En 1938, le prix Goncourt – dont il était à ce jour le plus vieux lauréat vivant – lui est décerné pour L'Araigne, son cinquième roman. Un Goncourt qu'il considéra un peu comme un accident. A cette époque, il gagnait sa vie comme rédacteur à la préfecture de la Seine. Lorsqu'on lui annonça la nouvelle, il crut à une plaisanterie. Une "plaisanterie paralysante" : qu'allait-il pouvoir écrire après cela ?
Dostoïevski le tira d'affaire. Après les angoisses du roman, il y avait quelque chose de rassurant à se plonger dans l'itinéraire connu d'une biographie. Sur le métier de biographe tel qu'il le concevait, sur ce "besoin presque physique d'une biographie" qui le saisissait chaque fois qu'il terminait un roman, Il expliquait : "Après m'être coltiné pendant des mois avec des personnages imaginaires, après avoir essayé de rendre la fiction plausible et le mensonge émouvant, après avoir sué d'angoisse sur les orientations arbitraires d'une intrigue et maudit cent fois l'excès de liberté qui fait que tout est permis au créateur de mythes, j'éprouve soudain l'envie de reprendre contact avec la réalité, d'obéir à des documents authentiques, de passer du rêve à la vie. Alors, j'entre dans une ère paisible et studieuse. Je sens le sol sous mes pieds."
D'UN PERSONNAGE À L'AUTRE
A force d'étudier l'histoire de ses modèles, il finissait par les sentir "respirer, bouger, parler dans sa tête". Il ressuscita ainsi Catherine la Grande, Pierre le Grand, Alexandre Ier, Ivan le Terrible ou Alexandre III. Il devint l'intime de Tolstoï, Gogol, Marina Tsvetaeva, Pasternak, et surtout Tchekhov, dont il admirait "la modestie et la droiture". Il fit revivre, presque charnellement, Flaubert et Maupassant, Verlaine et Dumas, sautant d'un personnage à l'autre, "endossant toutes les tuniques, changeant de cœur et de sexe à volonté". Travaillant peut-être un peu vite parfois – en 1997, il avait été accusé de plagiat pour sa vie de Juliette Drouet.
En 1959, Troyat a déjà beaucoup produit. A côté des biographies, deux grandes sagas – Tant que la terre durera et Les Semailles et les Moissons – contrastent avec les œuvres minces du début. C'est au moment où paraît le premier volume de La Lumière des justes, que, parrainé par François Mauriac et André Maurois, il est accueilli, à l'unanimité moins deux voix, à l'Académie française. Une coupole qui ressemble peu à celles qu'apercevait, du côté du Kremlin, le jeune Tarassov. Il voit là plus qu'une revanche sur les tristesses de l'exil, une "naturalisation définitive" : "Mon émotion se mesure à la distance qui sépare mon lieu de naissance du lieu où me voici", disait-il dans son discours de réception. "Calculez le trajet en kilomètres ou en verstes, vous conviendrez qu'il est long !"
PRÉCARITÉ DES CHOSES
Avec une énergie renouvelée, l'un des auteurs les plus féconds de sa génération poursuivit son travail : plus de cent livres attendus par ses fidèles et vendus à des millions d'exemplaires. Mais la critique boudait Troyat. Trop "grand public". Il souffrait de ces griefs : "J'ai beau être encouragé par ceux qui me louent, c'est à ceux qui m'accablent que je donne raison." Chaque fois, il revivait les angoisses du débutant, ou celles du petit Tarassov fuyant les bolcheviks, conscient de l'immense précarité des choses. Mais il continuait. "Si l'on m'empêchait d'écrire, je mourrais asphyxié", confiait-il. Il aura écrit jusqu'au bout, surprenant encore son public en 2003 avec des nouvelles (L'Eternel Contretemps), se passionnant pour Tchaïkovski (La Baronne et le musicien, 2004), et donnant un ultime roman, La Traque, à près de 95 ans.
Il ne se lassait pas de répéter qu'il était "un conteur sur la place du marché". Qui se méfiait des théories et se disait incapable de manier les idées générales ("Trop de cervelle et pas assez de tripes, on meurt vite de cette maladie-là !"). En cela, son œuvre se rattache à la manière russe. Pouchkine ne disait-il pas que "la Russie ne possède pas de langue métaphysique" et que "ses plus grands penseurs sont des romanciers qui s'expriment à travers les tourments de leurs personnages" ? "Je ne délivre pas de message", disait Troyat. "J'essaie de suggérer au lieu de prouver; je m'efface derrière mes personnages.Je tente d'observer, de recréer, de vénérer la vie."
Florence Noiville
Henri Troyat, la fin d'une histoire russe
NICOLAS D'ESTIENNE D'ORVES.
L'académicien français d'origine russe, Prix Goncourt en 1938, laisse une oeuvre de plus de cent volumes composée de romans et de biographies.
L'ÉCRIVAIN préféré des Français est mort. Pourtant, Henri Troyat, Prix Goncourt à 27 ans, académicien à 48 ans, romancier célèbre et biographe reconnu, consacré roi dans le panthéon des goûts nationaux en 1994 par un très sérieux sondage, ne fut jamais grisé par la gloire ; il s'en méfiait comme d'une peste : «Le succès ne signifie rien. Je sais de quoi je parle : au matin de ma vie, j'ai vu mes parents tout perdre sur un revers du destin, j'ai retenu la leçon. Je suis un homme d'ombre et de travail. »
Quand Lev Tarassov naît le 1er novembre 1911, rue de l'Ours à Moscou, ses parents sont encore de riches négociants en tissus de la Russie tsariste. Dès 1917, ils sont contraints de fuir et suivent le même périple que de nombreuses familles russes à travers l'Europe. Mieux que dans un roman, ils traversent le Caucase, la Crimée ; on les retrouve à Istanbul, à Venise et enfin à Paris. Après trois ans d'errance entre les wagons à bestiaux et les cales de bateaux, la famille Tarassov s'installe à Neuilly en 1920. Le petit Lev ayant appris les rudiments du français auprès d'une gouvernante suisse, il peut entrer au lycée Pasteur. Et s'il découvre, à 10 ans, La Guerre et la Paix comme « un éblouissement » et qu'il écoute les récits de ses parents « comme des contes de fées », il n'en devient pas moins un parfait modèle d'intégration culturelle et obtient, en 1933, une licence en droit.
Héritier des réalistes
Dès l'âge de 12 ans, il sent le virus littéraire poindre en lui. Dans Le Fils du satrape (1998), il raconte ses premières tentatives romanesques. Avec son ami Nikita, ils avaient attaqué la rédaction d'un roman à quatre mains, bien vite promis à un autodafé libérateur. En 1935 paraît Faux jour, son premier roman. Il a tout juste le temps de finir son service militaire que le jury du prix populiste convoque au Grand Véfour ce soldat en tenue d'artilleur pour lui remettre son premier trophée. La critique voit en lui un héritier des réalistes. Il est vrai qu'il s'inspire des oeuvres de Zola et surtout de Flaubert : « Je croyais avoir trouvé une bonne méthode pour me forger un style. Je lisais à haute voix un paragraphe de Flaubert, puis je le réécrivais de mémoire, et, comparant ma version à l'originale, je m'efforçais de comprendre pourquoi ce que j'avais écrit était indigne de ce que j'avais lu. »
Nul ne le contestera, Troyat était un besogneux. Écrivant debout devant son fameux pupitre (qu'il délaissa pourtant avec le poids des ans), il laisse une oeuvre qui compte plus de cent volumes, essentiellement composée de romans et de biographies.
En 1938, il obtient le prix Goncourt pour L'Araigne. C'est la sombre histoire d'un homme qui simule des suicides pour que ses soeurs ne se marient pas et s'occupent de lui. Entre 1947 et 1950 il publie sa première saga romanesque. Tant que la terre durera est une évocation de la Russie contemporaine. Car si Troyat est devenu plus français qu'on ne le peut être, il n'en reste pas moins ancré dans la sainte patrie de ses premiers souvenirs (ses manuscrits sont d'ailleurs relus par un ancien officier de la Garde impériale pour y déceler les erreurs et les omissions). Au crépuscule du communisme, qu'il considérera comme un « éclat de rire de l'histoire », il refusera pourtant d'y retourner : « Je me suis construit une Russie intérieure. Je ne veux pas être confronté à la réalité russe (...). Tout mon rêve intérieur, celui qui me fait écrire, s'effondrerait (...). Je préfère en rester à mes souvenirs d'enfant de 8 ans plutôt que de risquer d'appauvrir mon rêve. »
Troyat se méfie de la réalité, « elle est remplie d'invraisemblances », alors qu'« écrire un roman, c'est rendre ce qui aurait pu être aussi émouvant que ce qui a été ». Pourtant, malgré ses nombreux romans et cycles romanesques - Les Semailles et les Moissons (1953-1958), La Lumière des justes (1958-1963)... -, il reste le biographe le plus populaire de l'après-guerre. Qu'il traite de la Russie tsariste avec ses livres sur Catherine la Grande (1977) ou Alexandre Ier (1985), qu'il décrive avec ardeur et émotion la vie de ses compatriotes de coeur comme Dostoïevski (1940), Pouchkine (1946), Tolstoï (1965), ou celle de ses compatriotes d'adoption comme Flaubert (1988), Maupassant (1989) ou Zola (1992), Henri Troyat sait rendre la face cachée des grands hommes. Il s'immisce dans leur pensée, derrière leurs actes, et les peint dans toute leur complexité. Le personnage qu'il préfère, celui dont il se sent le plus près, c'est Tchekhov (1984) : « Le plus modeste, le plus ironique, le plus discret. » Mais de son propre aveu, les biographies ne sont que des haltes dans sa veine romanesque, des moments de pose où l'auteur vient se ressourcer auprès des maîtres de sa jeunesse et de sa patrie charnelle : « La biographie me repose, elle me frustre aussi beaucoup. Je préfère les dangers du roman. »
La frousse du débutant
Henri Troyat fut-il un aventurier ? Tout du moins vécut-il chaque parution de ses livres comme une épreuve : « Chaque fois que je publie un livre, j'ai une frousse de débutant. » C'est pourtant ce « débutant » que l'Académie française accueillit en son sein en 1959, au fauteuil de Claude Farrère. Troyat avait gagné la partie, le petit immigré russe était devenu l'honneur des lettres françaises. Lorsque sa mère apprit la nouvelle, elle lâcha un léger : « C'est bien, continue mon garçon... » Hommage timide ou considération hautaine ? C'est là toute l'âme russe de Lev Tarassov.
Sa vie se confond avec son oeuvre, tant par les thèmes abordés que par la régularité époustouflante de sa production. D'aucuns lui reprochèrent d'incarner une littérature populaire, mais Troyat considérait qu'un écrivain doit « écrire ce qui lui tient à coeur, sans se soucier des écoles littéraires (...). Si les grandes oeuvres sont grandes, c'est d'abord parce que, indépendamment des règles esthétiques, elles font passer un message humain ». L'écrivain doit être un naïf s'il veut toucher au coeur.
« Il y a un tel abîme entre ce que la main écrit et ce que l'esprit a rêvé, qu'aucune faveur ne saurait le combler. Mes romans ne m'ont rien appris sur moi. » Mais si le plus grand déraciné des Immortels est mort avec ses doutes, il nous lègue la certitude d'une oeuvre aussi riche et brillante qu'une icône.
Le Stakhanov des lettres se repose
Henri Troyat, écrivain prolifique surtout reconnu pour ses biographies, est mort à 95 ans.
Par Claire DEVARRIEUX
Henri Troyat, qui est mort à 95 ans le 2 mars, était le recordman d l'édition. Debout derrière son lutrin, il écrivait chaque année une fiction et une biographie ; il a dépassé son centième ouvrage en 2003 avec des nouvelles, l'Eternel Contretemps (Albin Michel). Quand il a été élu à l'Académie française, en 1959 (au fauteuil de Claude Farrère), il était le benjamin de l'assemblée : il a fini par battre tout le monde à l'ancienneté. Sa longévité, sa productivité expliquent qu'il soit resté longtemps l'écrivain le plus connu des Français, même s'il était plutôt le chouchou de leur grand-mère.
Goncourt. A part l'Araigne, prix Goncourt 1938, huis clos familial, les titres des romans de Troyat ne viennent pas spontanément à l'esprit. En revanche, demandez autour de vous, la fréquentation de telle ou telle de ses biographies a laissé de bons souvenirs. Au choix : Pouchkine, Lermontov, Gogol, Tolstoï, Tchekhov, Tourgueniev, Gorki, Catherine la Grande, Pierre le Grand, Alexandre Ier, Ivan le Terrible, Flaubert, Maupassant, Zola, Verlaine, Baudelaire, Balzac (qui porte le dossard n° 20), Juliette Drouet (qui a valu à l'auteur un procès pour plagiat), Alexandre Dumas en 2005, Pasternak en 2006. Ce sont bien sûr les Russes qui réussissent le mieux à Troyat. Il a commencé avec Dostoïevski, l'homme et son oeuvre , en 1940, date à laquelle, une fois démobilisé, il s'est consacré à la littérature. Pour la première fois, un biographe français de l'auteur de l'Idiot était en mesure de travailler d'après des documents originaux.
Troyat était né à Moscou le 1er novembre 1911, dans une famille de négociants aisés, où on parlait russe, tcherkesse, et français grâce aux gouvernantes. En 1917, c'est l'exil, qui se termine en 1920 à Paris. Si Troyat a intitulé Un si long chemin le recueil d'entretiens qu'il a donnés à Maurice Chavardès (trois éditions chez Stock à partir de 1976), ce n'est pas parce qu'il vieillissait, mais parce qu' «une longue distance sépare le lieu où je suis né du lieu où me voici». Il est élève au lycée Pasteur à Neuilly, fait ensuite des études de droit. La survie des siens dépend de son salaire d'employé à la préfecture de la Seine.
Léon. De Lev, il est devenu Léon. Le passage de Tarassoff à Troyat a été plus tardif. Il l'expliquait ainsi dans Libération, en 1989 : «J'avais envoyé mon premier roman, Faux Jour, sous mon vrai nom, Léon Tarassoff. Quand j'ai reçu les épreuves, elles étaient accompagnées d'une lettre de Plon me disant que si je conservais ce patronyme à consonance étrangère, tout le monde se figurerait qu'il s'agissait d'une traduction [elles n'étaient pas si prisées qu'aujourd'hui], et donc on me conseillait de prendre un nom français. J'ai fait des listes, j'ai fait sauter les lettres de Tarassoff, et, arrivé à Troyat, je suis descendu téléphoner, en disant : voilà, Léon Troyat. Pas mal, m'a répondu l'éditeur, mais un peu sourd ; il faudrait un prénom avec un «i» dedans. Ainsi ai-je été baptisé Henri Troyat dans une cabine téléphonique en 1934. J'en étais très triste. La moitié du bonheur que j'éprouvais à me voir imprimé était gâché. Puis, peu à peu, je me suis habitué à mon faux nom, qui est devenu mon nom légal.»
Réalisme intimiste. Admirateur de François Mauriac (il est l'ami de son fils Claude) et de Julien Green, Henri Troyat préfère à ses débuts le réalisme intimiste. Il met du temps avant d'affronter le passé russe et son trésor d'images. Il s'y emploie à partir de 1947, avec sa première saga en cinq tomes, Tant que la terre durera. Après, il puise son inspiration à part égale dans la société tsariste et le terroir français. Ce seront les Semailles et les moissons dans les années 50, la Lumière des justes et les Héritiers de l'avenir dans les années 60, et le Moscovite la décennie suivante. Ce qui nous mène dans les années 80 à Viou et le destin de Sylvie, la petite Auvergnate.
Fort de ses tirages, l'homme était courtisé par les éditeurs. Son départ de Flammarion pour Grasset en 1998 a fait du bruit. Mais c'était un bon grand géant, tout entier dans ces deux phrases d'artisan : «Il faut une dose énorme de naïveté, à un homme mûr faisant profession d'écrire, pour croire à la réalité des personnages qu'il invente et à l'importance de l'histoire qu'il désire conter.» Et : «A chaque nouveau bouquin, je suis replacé devant le désert de l'inexprimable.»
Troyat ! A 12 ou 13 ans j'avais lu par hasard "101 coups de canons" je crois.
Moi aussi ça m'a fait triste cette news. Le temps passe
Rédigé par : trompe la mort | 09 mars 2007 à 15:23
Oui, ton billet est magnifique, Gilles. Et en plus j'y apprends ton admiration pour Dostoïevski...Ah (soupir de bonheur).
Tu as oublié le 7ème Art: Andreï Tarkovski est le plus immense cinéaste du XXè siècle.
Je pense malheureusement que les plus belles créations sont celles produites par la nécessité de vivre et quand ça atteint la nécessité de survie, là on accède au génie pur. Voilà pourquoi la Russie a produit autant de talents inégalables car la création c'est un manque vital à combler. Plus le manque est grand, plus grande sera l'oeuvre.
Rédigé par : Sacha | 07 mars 2007 à 17:43
Beau texte Gilles
C'est étrange pour moi d'apprendre la mort de Troyat.
Je me souviens d'avoir eu des textes de lui (extraits de l'Araigne ou des Semailles et les moissons) dans mes livres de français quand j'étais enfant. Mais je n'ai pas souveir d'avoir lu un de ses livres. Il y en a pourtant quelques un dans ma bibliothèque, issus de la bibliothèque familliale.
Il y a tant de choses - belles ou intéressantes -- à lire. Et toujours seulement vingt quatre heures par jour ;0)
Zgur
Rédigé par : Zgur | 06 mars 2007 à 22:49