Didier Jacob raconte fort drôlement l'éviction du Seuil de Laure Adler...
Rendons donc à César ce qui appartient à Jacob ( c'est peut-être pour cela que le papier sur Le Seuil-domicilié rue...Jacob- est aussi bon)...
C'est assez bien vu et peu tendre pour Mme Adler...
Mais bon...
Nous si c'est drôle (même quand ce n'est pas forcément vrai) et bien écrit...
Comme les auteurs du Seuil avaient quitté le navire, la rue Jacob se trouvait absolument déserte. Deux personnages parurent. Denis venait de L’Express, Laure Adler (photo Ch. Beauregard) était directrice éditoriale dans l’une des enseignes du The La Martinière Group. Le premier, dont le corps disparaissait sous le complet veston, semblait perdu dans les couloirs de la maison. « Je cherche mon bureau », dit-il. La seconde sortait du sien. Elle était pressée, directe, pas commode. L’aspect aimable de Jeambar ne frappa pas non plus Pécuchette. Il avait des petites lunettes montées sur un crâne chauve. Cette exclamation lui échappa : « Je suis de droite ! ». Pécuchette resta silencieuse. Elle se souvenait de Mitterrand, ce roi lointain dont le souvenir se perdait au fond des âges.
« Je ne cède pas mon bureau », dit la directrice éditoriale au directeur tout court. Jeambar se renfrogna. « J’ai été journaliste. Patron, même ! », répliqua Jeambar. Pécuchette songea qu’ils avaient l’un et l’autre subi de grands déboires. La pensée qu’ils avaient échoué tous les deux s’empara également de Jeambar. « Une chose au moins nous rassemble ! », s’exclamèrent-ils en même temps.
Avant de débarquer au Seuil, Pécuchette s’était mis tout le monde à dos, à la radio, à la télé, à France Culture. C’est sous sa direction que cette chaîne fit naufrage. « Je veux érotiser le savoir », avait-elle confié à ces messieurs du Ministère. Elle érotisa. Les programmes furent nouveaux, pimpants, épouvantables. Les vieux instituteurs de province cherchaient en vain, le matin, les cours sur Parménide. C’est du slam qu’on leur servait. Le courrier des auditeurs, qui contenait des injures, enflait considérablement. Pécuchette voulut frapper plus fort. Elle demanda à ses journalistes de «décrypter un monde de plus en plus complexe. » Ca fit bien rigoler, à Saint-Jean-Pied-de-Porc. L’audience sombrait.
Jeambar n’avait pas eu plus de chance à L’Express. Les ventes piquant comme le nez de l’ivrogne dans son ballon de rouge, il chercha une idée, une lueur, un sésame : la nouvelle formule. Ce serait à peu près la même chose qu’avant, mais sans la culture. Le cinéma, le théâtre, les arts, on les mettrait dans le supplément bottes Gucci à 8000 euros la paire. Au fond d’un horizon plus bouché chaque jour, Jeambar apercevait des résultats tonitruants, des ventes merveilleuses. Il fixa au lundi le nouveau jour de sortie, espérant prendre de l’avance sur les autres magazines. Mais la révolution s’avéra décevante. Les Belges, à la tête de leur groupe, signifièrent leur impatience. Jeambar songea à se reconvertir.
Au Seuil, cependant, Pécuchette avait été nommée par The La Martinière Group. Là non plus, ça n’allait pas comme sur des roulettes. Elle voulut voir les auteurs. Beaucoup étaient partis. Il fallait du sang neuf. Elle chercha l’inspiration autour d’elle et, un soir, regarda son mari. Alain Veinstein, homme de radio, et poète, romancier, éditeur, avait, chez Melville (une obscure enseigne que des bonnes âmes, souvent, renflouaient) déniché des écrivains à suivre. « Je les prends », dit Pécuchette. Qui fit sa rentrée littéraire de septembre avec la rentrée de son mari. Comme Veinstein était au Seuil aussi, ça faisait comme une famille. Pécuchette signa des contrats à la pelle, mais les éditeurs de la maison, qui n’avaient pas voix au chapitre, se sentirent floués. Il y eut des grognements, des coups de sang dans l’air.
L’arrivée de Jeambar fit l’effet, sur le personnel, d’une lettre de notaire annonçant le décès d’un proche et l’héritage subséquent. Enfin, on allait respirer de l’air. Les employés ne courbaient plus l’échine en allant au bureau. Quant aux éditeurs, ils attendaient leur heure. Un jour, peut-être, le Seuil relèverait la tête.
Au début, Jeambar fit semblant de s’entendre avec elle. Mais quand il s’aperçut que les contrats étaient signés pour les années à venir, ce patron convoqua Pécuchette. C’était donc ça, être chef ? Surveiller seulement les comptes, sans pouvoir décider des auteurs qu’on publiait ? Pécuchette claironna qu’elle était la seule responsable éditoriale du The La Martinière Group. Elle avait publié Fleischer, Mabanckou, Veinstein. « Son mari ! », soupira Jeambar. Sa décision était faite. Et tandis que Pécuchette se rengorgeait, Jeambar songeait, en affichant le sourire paisible des patrons : « Je la vire ! ». Il lui donna congé. Elle était folle d’orgueil, de rage, «hébétée». Cette rumeur enfla dans les bureaux du Seuil. Et les deux, Laure et le bruit qui courait de sa mise à la porte, s’en allèrent rue Jacob la tête haute, et marchèrent dans l’air du soir, le crépuscule tombant.
Cela marche aussi avec plein de mots.
Cirer les autres, ou plutôt les pompes.
Mirer les autres. Comme un reflet pour se mettre dans leur fauteuil...
Bon faut que je bosse. C'est pas closerie tous les jours ;-)
Rédigé par : mclane | 19 décembre 2006 à 12:36
Le seul truc interdit dans l'édition c'est de tirer à la ligne...
Il vaut mieux tirer sur les lignes ou tirer sur les autres, ou tirer les autres...dans le dos de préférence..
Rédigé par : gilles | 19 décembre 2006 à 12:30
Tu as raison,Gillou, c'est très drôle...
Notamment :"Pécuchette songea qu’ils avaient l’un et l’autre subi de grands déboires."
J'aime bien entendre les "déboires" du haut de la pyramide.
En bas, un "déboire", c'est souvent "reboire"..."pour oublier qu'on boit" comme disait le défunt motard candidat-plumé.
Egalement le « Je veux érotiser le savoir ». C'est drôle....et beau comme une caresse sur un dictionnaire de citations grecques. On s'imagine déjà trouver sous les doigts les courbes d'Aphrodite en recopiant un pensum...ou respirer une tiédeur de cyprine à travers la grille du haut parleur de la radio. Las, ce ne fut qu'un cyprin doré inlassable dans un bocal...
« J’ai été journaliste. Patron, même ! »
Putain, moi aussi !
Merci Gillou de ce billet. D'un seul coup je reprends espoir.
En plus j'ai aussi été sheriff, barman de nuit, chômeur, SDF, divorcés (avec un S, c'est volontaire !), consultant à RFO, coureur de fond, animateur de centre de vacances, photographe et maintenant même...écrivain.
J'ai donc des chances énormes dans l'édition top niveau avec un tel CV !
Bon, je vais peut être me contenter de continuer à m'envoyer des lignes.
Paraît que c'est un signe de reconnaissance dans le show-biz !
Rédigé par : mclane | 19 décembre 2006 à 12:23