Dans une chronique parue dans L'Express de la semaine du 21 au 27 septembre 2006, Claude Allègre affirme, entre autres, que "l'effet de serre n'a aucun rôle majeur" [dans la disparition progressive des neiges du kilimandjaro]. "Il y a sans doute un changement climatique, mais ce dernier est caractérisé plus par de brusques fluctuations (...) que par un réchauffement général. La cause de cette modification est inconnue. Est-ce l'homme? Est-ce la nature?" s'interroge-t-il.
De quoi faire bondir les défenseurs de l'environnement (que nous sommes).
En réponse à l'ancien ministre, Sylvestre Huet, journaliste à Libération - rubrique Terre - a rédigé un papier en forme de droit de réponse que nous vous proposons de découvrir ici :
Le changement climatique et les propos de Claude Allègre
Par Sylvestre Huet
Le 21 septembre dernier, l'ancien ministre de la recherche et de l'éducation nationale Claude Allègre a publié sa chronique hebdomadaire dans l'Express. Le verbe commettre serait plus indiqué. Le géophysicien, prix Crafoord et médaille d'or du CNRS, s'y livre en effet à une série d'affirmations dont on hésite entre «mensongères» ou «ignorance grave» pour les qualifier. Pire : elles portent toutes sur un sujet - l'évolution du climat - dont on aurait pu penser qu'il
ne se situe pas trop loin du domaine de compétence professionnelle de l'ex-ministre. C'est d'ailleurs à ce double titre qu'il peut faire mal, la confiance du lecteur abusée par l'autorité du savant et de l'homme politique.
Claude Allègre débute sa chronique en citant les «photos spectaculaires» de Yann Arthus-Bertrand du Kilimandjaro - sommet africain - dont la couverture de glace est en voie de disparition. Puis critique l'attribution de cette évolution au réchauffement
climatique en cours, un «refrain», ironise t-il. Claude Allègre cite un article «dans la revue Nature», où «des chercheurs français ont montré que cette désertification (responsable de la disparition des glaces du Kilimandjaro) était largement due à des mouvements tectoniques responsables de la remontée progressive du continent africain, modifiant la circulation météo. L'effet de serre n'a aucun rôle majeur là-dedans». Il n'y a pas d'article sur ce sujet dans les
dernières livraisons de Nature. Il y en un, cependant, dans le numéro du 8 septembre de Science (1). Mais il est très peu probable que Claude Allègre l'ait lu. En effet, s'il porte sur le climat de l'Afrique, il s'agit de l'évolution de celui-ci entre il y a 8 et 2 millions d'années. Et pas une ligne sur ce qui s'est passé depuis en Afrique. Cet article a un rapport avec Lucy et l'origine de l'Humanité. Mais pas avec Homo Sapiens et l'accentuation de l'effet de serre qu'il provoque depuis un siècle et demi par l'usage massif du carbone fossile (charbon, pétrole et gaz). Allègre manipule le texte, trompe ses lecteurs.
Le géophysicien ne s'arrête pas là. Et cite un «important article d'une série d'éminents glaciologues (qui) montre que, en trente ans, le volume des glaces antarctiques n'a pas varié». Ce qui, poursuit-il, met en cause l'idée selon laquelle «si un réchauffement général à lieu, il sera beaucoup plus important près des pôles qu'à l'équateur». Or, cet article (2) ne porte pas sur le volume des glaces de l'Antarctique mais sur la mesure de la quantité de neige qui y est tombée depuis 1958. Les auteurs notent qu'«il n'y a pas de changement statistiquement significatif dans les chutes de neige depuis les années 1950, indiquant que les précipitations sur l'Antarctique ne peuvent pas atténuer la montée du niveau de l'océan mondial comme cela était espéré, malgré le réchauffement récent durant l'hiver de l'atmosphère au dessus (de l'Antarctique, ndlr)».
Les climatologues n'ont en effet jamais envisagé que le réchauffement général et au dessus de l'Antarctique, se traduise par une diminution du volume de la calotte antarctique mais par une augmentation, à l'horizon 2100, en raison de chutes de neiges plus importantes. Il y a pire. Dans le même numéro de Science, un autre article porte sur l'évolution récente de la calotte Groenlandaise (3). Il montre que celle-ci a perdu près de 239 kilomètres cubes de glace entre 2002 et 2005, une «accélération», estiment les glaciologues. De deux choses l'une : soit Claude Allègre n'a pas lu l'article dont il parle, ni, d'ailleurs, ne serait-ce que jeté un ¦il sur le sommaire de cette livraison de Science, soit il la connait et - l'hypothèse de l'incompréhension n'étant guère recevable - il ment délibérément. Claude Allègre prétend que «la cause de cette modification climatique (récente, ndlr) est inconnue. Est-ce l'homme ? Est-ce la nature ?».
L'ancien ministre n'a sûrement pas le temps de lire les milliers de pages présentant les analyses et les mesures de ses collègues dont la synthèse, réalisée par le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat, affirme qu'il est impossible d'expliquer l'évolution climatique depuis cinquante ans sans tenir compte de l'augmentation de l'effet de serre provoquée par les émissions anthropiques. Cette conclusion est certes récente - elle apparaît pour la première fois dans le rapport paru en 2001 - mais solide et
prudente, émise après une critique soigneuse des alternatives.
Peu soucieux d'éviter le paradoxe, il se lance dans une hypothèse hardie : «la dénonciation de la responsabilité de l'homme quant au réchauffement de la planète permet de ne rien faire»S sous prétexte que «les effets des mesures préconisées ne se feront sentir que dans un demi-siècle». «En revanche, poursuit-il, «la lutte contre les théorèmes extrêmes (vous avez bien lu, ndlr) peut être menée avec des résultats». Là encore, l'ancien ministre passe les bornes de la mauvaise foi. Les climatologues ont clairement annoncé qu'il s'agissait effectivement de prendre nos responsabilité vis à vis des générations futures et non d'obtenir des résultats immédiats. Surtout, ils ont mis l'accent sur le risque accru d'événements météo extrêmes et d'une variabilité accrue du climat comme manifestation dangereuse de son évolution globale - une canicule type 2003 en Europe devrait ainsi faire figure d'été moyen à l'horizon 2070 - et
comme l'une des raisons de tenter de l'atténuer.
Il peut sembler vain d'alerter les citoyens contre le propos de Claude Allègre. Mais, sur ce sujet du changement climatique, les scientifiques ont accepté, collectivement, d'endosser le rôle délicat d'experts auprès de la société et des gouvernements. Ils ont pris le risque de conclure leur diagnostic par une recommandation redoutable : nous devons user avec le plus d'économie possible du pétrole, du gaz et du charbon, alors même qu'ils constituent près de 80% de nos ressources énergétiques. La difficulté de la tache suppose une grande confiance dans le diagnostic et la préconisation. Qu'un scientifique bardé de médailles par sa communauté utilise de tels procédés pour le mettre en cause mérite que ses collègues réagissent.
(1) Tectonic uplift and eastern africa aridification. Pierre Sepulchre et al. Science du 8 septembre. Insignificant change in Antarctic snowfall since the international geophysical year. Andrew J. Monaghan et al. Science du 11 aout 2006.
(2) Insignificant change in Antarctic snowfall since the international geophysical year. Andrew J. Monaghan et al. Science du 11 aout 2006.
(3) Satellite gravity measurements confirm accelerated melting of Greenland ice sheet. J.L. Chen et al. Science du 11 aout 2006.
Les Éditions Héloïse d'Ormesson vous encouragent à lire le formidable essai sur le changement climatique du scientifique australien Les Faiseurs de pluie, en librairie depuis le 11 mai dernier.
Pour alerter nos députés de l'enjeu crucial du réchauffement de la planète, Yann Arthus-Bertrand a choisi de remettre Les Faiseurs de Pluie, "un livre indispensable", selon lui, aux personnalités politiques présentes à la projection d'Une vérité qui dérange, organisée en avant-première à l'Assemblée Nationale, le 11 octobre prochain.
Cet essai, qui nourrit la pensée et le combat d'Al Gore, éclaire avec discernement les problématiques liées au changement climatique. Outre l'adhésion enthousiaste d'Yves Coppens dans la préface des Faiseurs de Pluie, les hommes politiques à l'instar d'Arnold Schwarznegger ou Tony Blair s'en inspirent très largement. L’ouvrage est aussi devenu une référence incontournable dans le monde de l'entreprise: cet été, Richard Branson, le Pdg de Virgin a lu en public des extraits des Faiseurs de Pluie pour sensibiliser l'opinion. De l'Australie à la Californie, la lutte contre le réchauffement climatique a commencé... Et, la publication des Faiseurs de pluie par Eho s'inscrit dans cet engagement.
En marge de la bulle médiatique, nous avons lancé le 8 septembre dernier, une opération Passe-livre
(ou Bookcrossing : plus d'info sur le blog Eho : http://editionseho.typepad.fr/passelivre_eho/
tim_flannery/index.html ) afin de soutenir et diffuser ce livre essentiel.
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