Giesbert vient de sortir un livre, et son journal, qui est toujours le premier sur le terrain, a eu vent de cette parution fabuleuse. Voyez comme les choses sont bien faites. Comme les éditeurs font correctement leur boulot. Remarquablement, même. Flammarion a envoyé un exemplaire à la rédaction du Point, et, ma foi, ils n'ont pas détesté. C'est pourquoi le Point consacre à cet ouvrage (un polar marseillais) un espace sympathique (l'ouverture du cahier culture). J'imagine la discussion en conférence de rédaction. «Et cette semaine, on a quoi?» demande FOG. «Il y a le Festival de Cannes», dit le sous-chef à la culture. «Oui, bof». C'est FOG qui parle. «Pas très juteux, le festival. Pas très marseillais. Sinon?» Un imbécile, autour de la table, propose la une sur «Inglourious basterds». Le nouveau Tarantino. «Bon, encore le festival!» Dit FOG. Giesbert, le Tarantino de Marseille. Qui croit du moins qu'il l'est. Ca s'appelle «Le lessiveur», et c'est vrai que FOG s'y entend pour faire le ménage dans les sujets. Comment il te dégage le terrain pour sa daube. A la Saint-Marc, il te le shampouine, le cahier culture. Pour qu'il soit tout beau quand on va parler de son polar. Un livre si bête qu'il en finit par être sympathique. Ah non, on ne tient pas un Flaubert. Mais un Giesbert. A la rime, on serait presque de la même trempe. Mais c'est de la prose, pas des bouts rimés. Enfin, prose. C'est beaucoup dire. Avec les journées qu'il a, comment voulez-vous qu'il affine, Quentin Giesbert. Le fromage est livré, comme qui dirait, sorti du cul de la vache. Ca n'est pas resté des décennies en cave. Comment fait-on quand on n'est pas écrivain pour faire carrière dans la littérature? On écrit un polar marseillais. Ou alors on s'appelle Giono, et ça chante tout seul, sans forcer sur le peuchère. Mais Giesbert n'a de Giono que l'initiale. Décidément. C'est le pas de chance des écrivains médiocres: on a un nom qui commence comme Giono, qui finit comme Flaubert, mais on restera à jamais un très insipide Giesbert. Et puis jamais Giono n'aurait eu l'idée d'appeler un livre «Le lessiveur» pour demander ensuite à Jacques-Pierre Amette de lui cirer le coccyx sur trois colonnes. Voyons, comment s'y prend notre Jacques-Pierre? Mais pas trop mal, dites-moi. Quoiqu'en y regardant de plus près, je me demande si notre ancien Goncourt n'éreinte pas secrètement son supérieur. «Le directeur du Point», écrit-il, «aime le Vieux-Port, le quartier du panier, les rochers blancs des calanques, les escaliers tordus, les restos caverneux qui abritent les demi-sel du crime aussi bien que les pontes, les magouilleurs de l'OM aussi bien que les dingos du couteau.» Ah, pour donner envie... «Ajoutez aussi l'altitude du ciel (ça doit être une licence poétique), les coups de mistral qui attisent les passions, l'ail, l'accent, l'appel des bateaux, les cris et les banderoles des syndicalistes racketteurs.» L'ail ? Ben oui, c'est Giesbert. La littérature en odorama. Amette, dans sa magistrale étude, montre bien qu'aucun cliché n'échappe au filet de Giesbert. Plus fort que Nabokov chassant ses papillons. Ce qui fait, au final, un vrai petit muséum (de bêtises à ne pas mettre dans un livre). Oui, il y a d'assez jolis spécimens. Sur les femmes, par exemple: «Côté femmes», écrit Amette, «la commissaire Marie Sastres apporte un peu d'aquarelle dans la boucherie.» A la bonne heure. FOG est tout de même un homme bien élevé. Une femme, ça doit rester femme. On est dans l'aquarelle. Les couleurs larmoyantes, avec un décolleté. Amette, en somme, ne s'en tire pas trop mal. Il est en fin d'article. Ouf, doit-il penser. J'ai fait ce que je pouvais pour sa bouse. Au chef. Mais un doute, probablement, lui vient. Est-ce qu'il ne faudrait pas encore en rajouter une couche? Sur la fin, pour huiler un peu les rapports? Avec cette presse qui va mal, pour ne pas être le premier sur la liste de ceux qui vont partir. C'est l'objet du dernier paragraphe: bien montrer qu'on a aimé la bouse. «Roman rapide, plaisant, aigu, comique, inspiré, facétieux, guignolesque». Un peu plus loin: «Les dialogues incisifs, ou le détail sociologique vrai, percent le livre.» Percent? Oh, my God. Est-ce qu'Amette n'écrirait pas, au final, comme Giesbert? Un Tarantino, des Tarantini. Est-ce assez blanc? A-t-on suffisamment passé la brosse à blanchir? Encore un petit coup de polish et le lecteur du Point en sera pour son argent. Car Amette, qui n'a pas encore écrit le mot chef d'œuvre, qui n'ose pas le prononcer, qui n'ira pas jusqu'à parler d'événement littéraire majeur mais doit tout de même laisser entendre qu'avec Giesbert, on tient un écrivain majeur, n'a pas encore assez huilé les rapports. Chef d'œuvre, pas chef d'œuvre? Maupassant d'œuvre, tente finalement Amette, et cette comparaison insensée vous dévale dessus comme un petit vent traître, glacé en fait (et qui en dit long sur l'état de délabrement de la parole journalistique): «Sous ce ton d'écrabouillerie rigolote, l'auteur dresse un constat pessimiste, logique et clair comme un récit de Maupassant.»Putain ! C'est quand même vrai qu'il est bon le Didier... surtout quand il est méchant, pas que mais beaucoup quand même!!!
21 mai 2009
Inglourious Giesbert
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