Après avoir fait mouche avec un premier roman aussi flamboyant que grinçant « Le reniement de Patrick Treboc » (Lattès), Harold Cobert continue de dénoncer les impasses et les absurdités de notre société. Sorti le 7 mai aux Editions Heloïse d’Ormesson, « Un hiver avec Baudelaire » suit un homme dans sa chute du foyer familial confortable à la rue, la solitude, la faim, le froid et la honte. Un seul être vient repeupler le monde vide de Philippe : le chien Baudelaire. Nous nous sommes entretenus avec l’auteur de ce roman dur et cependant plein du lait de la tendresse canine. « Je chante les chiens calamiteux, soit ceux qui errent solitaires, dans les ravines sinueuses des immenses villes, soit ceux qui ont dit à l’homme abandonné, avec des yeux clignotants et spirituels : ‘Prends-moi avec toi, et de nos deux misères nous ferons peut-être une espèce de bonheur!’», Charles Baudelaire, « Les bons chiens » A la terrasse d’un café ensoleillé du quartier latin, tout chez Harold Cobert irradie d’une beauté sobre. Le livre d’abord, dont la couverture dessinée par sa femme, Christine, a la pureté classique qui sied au sujet. Le cœur ensuite, avec sas révolte sûre et posée a l’élégance d’en engagement littéraire fort. Nous avions laissé Tréboc, charmeur, ironique et en colère, et nous retrouvons Cobert, profond et plein de son livre et des personnes qu’il a rencontrées lors de cette grande aventure qu’a été la recherche et l’écriture d’ « Un hiver avec Baudelaire ». « Le reniement » était une fable ludique et médiatique. Avec « Un hiver Baudelaire » tu plonges dans une réalité sociale dure et dans l’anonymat douloureux d’un homme qui a tout perdu. Patrick Treboc nous montre-t-il enfin le véritable visage d’Harold Cobert ? Je ne crois pas qu’il y ait vraiment de changement. L’ironie de Patrick Treboc est la « politesse que l’on doit à son propre désespoir », comme le disait Boris Vian à propos de l’humour. Dans le premier livre, la sensibilité était cachée derrière la gaudriole mais « Le reniement » décrivait aussi une réalité sociale, le malaise des trentenaires et dénonçait la dictature de la société du spectacle avec les compromissions qu’elle entraîne. Dans « Un hiver avec Baudelaire », la critique sociale est plus apparente. Je m’en prends à la manière ambiguë dont on traite la misère en France. Dans son livre « Les naufragés » (Plon), le sociologue Patrick Declerck montrent bien comment les politiques disent vouloir éradiquer la misère, mais en même temps combien la figure du clochard sert de repoussoir et de garde-fou. Le message est simple : si vous êtes trop contestataires, vous allez perdre votre travail et finir comme « eux ». Et nous jouons tous un peu ce jeu. Par exemple quand il fait bien froid un 24 décembre, on entend souvent « enfin un vrai Noël ». Mais on ne pense pas à ceux qui n’ont pas de toit et souffrent de ce froid. En revanche, du point de vue du style, je crois que je suis enfin parvenu à ce que je voulais. J’ai atteint la transparence, une écriture tellement travaillée qu’elle se fait oublier. C’est quelque chose que je recherche depuis mon premier essai sur Mirabeau : comme un humaniste du XVIII e siècle, je ne veux pas montrer le travail. Non, ce n’est pas le désespoir. Au début du livre, Philippe n’est pas désespéré. Mais il faut savoir que dans 60 à 70 % des cas, c’est une séparation sentimentale qui est à l’origine de la spirale qui mène à la rue. Affectés par la rupture, certaines personnes sont moins performantes au travail, ils perdent leur job. Sans emploi et donc sans revenus, ils n’ont pas d’appartement, et comme il faut une adresse pour avoir un travail, ils se mettent à travailler au noir et à habiter là où ils peuvent dans des habitats précaires. Ils se trouvent aspirés dans un siphon qui ne les lâche pas jusqu’à ce qu’ils soient rincés jusqu’au bout. Comme dans des sables mouvants, se débattre ne sert à rien. Plus ils bougent et plus ils s’enfoncent. C’est seulement une fois au fond qu’une mince marge de manœuvre est possible : supporter ce fond sans se mettre à boire. Quand on commence à boire, on déréalise, on perd le rapport au temps. Et comme souvent les sans-abris boivent du mauvais vin, ils commencent à avoir des problèmes physiques : ils deviennent incontinents, ils perdent leurs dents, ils dégagent une odeur qui les stigmatise. Or la dépendance à l’alcool, et la recherche croissante d’oubli font que s’ils se mettent à boire, ils boivent de plus en plus et là, ils n’en reviennent plus jamais. Le moment où ils commencent à boire est un peu la limite d’Orphée. Tu as fait un travail de recherche important pour écrire ce livre. Peux-tu nous en parler ? Oui, ce travail a été double. D’abord beaucoup de lecture et une plongée dans les statistiques. Et après, la journée et la nuit, j’allais dehors pour m’asseoir avec des hommes et des femmes qui étaient là. Parfois j’apportais une bière, un sandwich ou, comme je fume, je leur proposais une clope. J’avais aussi toujours un peu de monnaie sur moi. Mais je crois que ce qu’ils appréciaient le plus c’était ce que personne ne leur offre jamais : un petit peu d’écoute. Et j’essayais très discrètement qu’ils me racontent pourquoi et comment ils étaient là et comment ils faisaient pour s’en sortir. Je suis aussi allé voir quelques centres à paris. Le seul où je n’ai pas eu le courage de me rendre est le CHAPSA de Nanterre. C’est là qu’on emmène les SDF le soir quand tous les autres foyers sont pleins. Mais les rapports humains sont tellement violents, surtout depuis qu’ils ont transformé les grands dortoirs en chambres pour trois ou quatre personnes, que même le sociologue Patrick Declerck a renoncé à y passer la nuit, après avoir été menacé physiquement par un homme armé d’une seringue et disant avoir le sida. Il explique que la réalité de ce centre est bien loin de l’image d’Epinal du clochard un peu crado au nez rouge. Ce sont souvent des gens pauvres, propres, et drogués, venus d’Europe de l’est et qui sont très violents. Je me suis dit que si lui n’y allait pas, alors qu’il fait cela depuis des années, je n’allais pas m’y risquer. Dans ton livre, c’est l’animal (le chien) qui sauve l’homme. Tu lui as donné le joli nom de Baudelaire. Quel est, selon toi, le rapport entre l’animalité et la poésie ? En fait toute l’idée du livre vient de ce rapport entre l’homme et l’animal. C’est après avoir vu un reportage sur le centre du Fleuron Saint-Jean, qui accueille les sans abris avec leurs chiens, que j’ai voulu écrire « Un hiver avec Baudelaire ». On y voyait l’un des SDF, Pascal, avec sa bâtarde, Jessica. Celle-ci était condamnée par un cancer des ganglions. Pascal disait que sa chienne lui avait sauvé la vie. Il y avait une telle intensité entre eux et une telle force dans cet homme qui était devenu une bête et qui a été sauvé par un animal ! D’ailleurs l’émission a ému un large public puisqu’après l’émission, Pascal et Jessica ont reçu des dons qui ont permis d’opérer la chienne. Ils ont aussi été hébergés par une Française riche habitant en Espagne pendant la convalescence de Jessica. Et puis je me suis souvenu de ce texte de Baudelaire que j’avais eu à étudier, il y a longtemps pour le baccalauréat, « Les bons chiens ». En mélangeant ces données avec l’idée romantique et enfantine de la “Belle et le clochard”, je me suis dit qu’il fallait que j’écrive là-dessus, et que ce serait une vraie fable. En fait, j’ai réalisé qu’un SDF seul passe inaperçu. Les gens le zappent. Mais si il ou elle a un chien, l’œil du passant va vers le chien, puis remonte vers l’humain. Bien sûr un chien est utile pour prévenir d’un danger, mais aussi et surtout, il redonne une existence à son maître : les passants le voient, puisque le chien doit manger, il retrouve un rythme de vie, et surtout il a charge d’âme et se bouge souvent plus pour le chien que pour lui-même. Dans le livre, c’est pour sauver Baudelaire que Philippe s’en sort. Je m’en démarque car je crois ne jamais tomber dans le pathos. Il me semble que la violence et la froideur de la rue sont bien rendues. Je n’idéalise pas non plus les clochards. Je montre bien le peu de solidarité qu’il y a entre eux. Certains votent même FN. Et dans le livre, je n’ai pas l’impression qu’il y ait d’un côté les bons, de l’autre les méchants. Pas de manichéisme donc, et si l’histoire de Philippe se termine bien, ce n’est quand même pas un conte de fées. Mais il est vrai qu’un sentiment fort m’anime et je crois qu’il est bon. On ne peut pas faire un livre sur les SDF sans leur rendre ce qu’ils ont donné. Le livre leur rend hommage, c’est déjà pas mal, mais je voulais faire plus. J’ai donc décidé de reverser une partie de mes droits d’auteurs au Fleuron Saint-Jean. Avec le premier versement, ils ont déjà fait un grand repas. Comme quoi l’encre peut faire manger des chiens et des hommes. La littérature ne peut pas sauver le monde mais je crois qu’elle peut l’améliorer de façon très concrète. Harold Cobert, « Un hiver avec Baudelaire », Eho, 266 p., 19 euros. “Demain ressemble à hier Harold signera son livre aux côtés de Tatiana de Rosnay et son “Boomerang” (eho) le mardi 19 mai de 18h à 20h à la librairie Tropiques, 63 rie Raymond Losserand, Paris XIVe, M° Pernety.
Si ce n’est la contestation, quel facteur psychologique enclenche le processus de précarisation ? Est-ce le désespoir, comme celui de ton personnage, Philippe, à qui tout semble indifférent une fois que sa femme l’a quitté ?
Comment « Un hiver avec Baudelaire » se démarque-t-il des Marc Lévy, des Muriel Barbery et de tout le courant de littérature « bien pensante » et « feel good » qui est en vogue actuellement ?
L’avenir se vit au présent. Un présent qui ne se conjugue pas. Ou uniquement au mode infinitif. Parce que aujourd’hui ressemble à hier, et demain à aujourd’hui.
Manger. Dormir. Boire. Rester propre. Emmaüs. Mendier. Regarder la date sur la une des journaux. Penser à Claire.
Marcher. Lavomatique. Dormir. Uriner. Compter les jours. Manger. Restos du Cœur. Trouver des vêtements. Secours catholique. Marcher. Déféquer. Faire la manche. Rester digne. Ne pas devenir fou. Uriner. Compter les jours.
Boire. Lavomatique. Mendier. Penser à Claire. Dormir. Se laver. Regarder la date sur la une des journaux.
Dormir. Rester propre. Déféquer. Ne pas mourir. Changer de chaussures. Rester digne. Mendier. Ne pas lâcher. Manger. Boire. Dormir. Rester en vie. Penser à Claire. Vivre. Survivre.” p. 131.
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