En 2005, Tatiana de Rosnay fait cette interview d'Héloïse.
Prénom Héloïse
J’ai eu l’occasion de rencontrer une jeune éditrice de talent, qui vient de lancer sa maison d’édition. Elle porte un nom célébre...et parvient parfaitement à se faire un prénom. :) Voici l’interview dans son integralité...Prénom HéloïseHéloïse d’Ormesson, 42 ans, la fille de Jean, vient de lancer sa propre maison d’édition : « Editions Héloïse d’Ormesson ».Elle vit à Paris avec sa fille Marie-Sarah, 10 ans. Et son fiancé, Gilles. C’est la voix de ma fille qui me réveille à 7h30 tapantes : « Bonjour ! » Une obsédée des horaires. Et moi, une laxiste des horaires. Du coup, la pauvre, elle est traumatisée à l’idée d’arriver en retard et c’est donc elle qui prépare le petit-déjeuner —céréales Kellogs, Earl Grey— pour être absolument certaine d’être à l’heure. Marie-Sarah est fière de ma nouvelle aventure éditoriale, elle m’a même confié un manuscrit : Histoire de Bella : Bella est élevée par une marâtre à verrue qui s’appelle Dictée, un très joli conte, on doit en parler toutes les deux ! Gilles dort encore. Je ne suis pas particulièrement pour l’institution du mariage, je n’avais pas épousé le père de ma fille, et je ne suis pas mariée à mon fiancé, Gilles, avec qui je vis depuis 2 ans. Si Gilles n’avait pas été là, je n’aurais jamais fondé cette maison d’édition. On l’a montée ensemble, c’est notre bébé d’amour. J’ai une phobie de tout ce qui est administratif, j’ai hérité ça de mon père. Lors du premier papier fiscal reçu, j’étais quasiment sous Prozac. Ça date de l’époque des inscriptions en fac : je devais me détendre une journée entière et après je mettais deux jours à m’en remettre ! Gilles (qui connaît bien l’édition, il a été représentant en librairie) s’est occupé de tout le côté financier, la machinerie, c’est lui. Moi, je gère l’éditorial. L’oeil rivé à sa montre, Marie-Sarah ne me lâche pas avec ses : « Maman, ta douche ! » alors, je m’exécute, puis j’enfile ma tenue habituelle : pull, jean et Pumas. Des secrets de beauté ? Je ne me maquille pas, je ne supporte pas les parfums capiteux et je me fous royalement de mes fringues, de ma coiffure. Seule coquetterie : mes boucles d’oreilles, j’en raffole, j’en ai des dizaines. On part à vélo, ma fille sur le porte-bagages. L’école est à 10 minutes, on triche en roulant sur les trottoirs. J’habite dans le 5e, je m’y sens vraiment chez moi. Ensuite, direction mon bureau sous les toits, boulevard Saint-Michel, où je retrouve Gilles. Ça fait 20 ans que je suis dans l’édition, après avoir fait des études de lettres modernes à Nanterre et à Yale (aux USA). J’ai travaillé chez Laffont, Flammarion et Denoël, mais me voici pour la première fois à mon compte ! J’assume mon Œdipe : je ne suis pas éditeur par hasard. J’aime mon père qui est un auteur, donc j’aime par essence et génériquement l’auteur. Et j’ai envie de faire son bien. La richesse d’une maison d’édition, c’est l’auteur. Je ne peux pas concevoir que l’intérêt d’une maison d’édition aille contre l’auteur. Le rapport si particulier entre l’auteur et l’éditeur, c’est une part d’affection, une part d’estime, une part d’échange. Je déjeune au resto avec mes auteurs, des libraires, des traducteurs, un moment qui réunit deux de mes passions : la bouffe et les bouquins ! J’ai des discussions rares avec tous mes auteurs, certains me suivent depuis mes débuts, lorsque j’étais éditeur pour d’autres maisons. Ils savent qu’ils participent à notre aventure, qu’ils prennent un risque, comme Gilles et moi. L’après-midi, je travaille sur les textes. Je lis. Je relis. Je corrige. Dans la concentration. Découvrir un livre merveilleux, c’est un plaisir extraordinaire, c’est comme la naissance d’un enfant. C’est un moment fort, rare, celui où vous tombez sur un texte si puissant, si beau, que vous en oubliez tout. J’aime cet instant où un livre vous envoûte, comme lorsque j’ai lu « Possession » de A. S Byatt (que j’ai publié en 93 chez Flammarion et qui est devenu un film avec Gwyneth Paltrow en 2003.) Mes parents sont très excités par mon projet, —j’espère admiratifs— et quand même assez impliqués. Mon nom, c’est à la fois génial et casse gueule pour un éditeur. On va être exigeant avec moi. Je ne suis pas une débutante. Le nom de mon père, c’est comme un label de qualité et je me dois de respecter cette qualité. J’ai hésité à le prendre au début. C’est un ami éditeur qui nous a dit : « Mais enfin, vous êtes fous, servez-vous de ce nom ! » A 16h30, re-vélo, chercher ma fille, pour passer un moment avec elle. Elle fait ses devoirs avec la baby-sitter, je retourne bosser et je rentre pour 20h. Plusieurs fois par semaine, on dîne à la maison avec des amis, des écrivains. Je ne suis pas une femme d’intérieur, c’est Gilles, la femme d’intérieur. Il invente des sauces tomate sublimes avec du thé, du miel, des écorces d’orange. C’est un grand ours mal léché d’une immense tendresse qui me couvre de fleurs et veut tout le temps me faire des bisous. Propos recueillis par Tatiana de Rosnay pour ELLE. |
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