Comme j'ai l'habitude de le faire , je préfère vous livrer quelques perles , bonnes ou mauvaises, que je trouve sur les blogs concernant la littérature, le milieu et le reste...
Après avoir lu les livres de Denis Grozdanovitch, je suis allé voir son blog...
Je trouve que c'est le blog le mieux écrit et le plus intelligent du moment.
Je vous laisse vous faire votre opinion mais je dois dire qu'en termes de style et d'intelligence pour parler de littérature en général et de la vie en particulier je n'ai pas trouvé mieux.
Tout ce qu'il faut savoir sur D.Grozdanovitch se trouve sur son blog intitulé
"Balles au bond"
Comme on pu le dire mais enfants: " c'est vraiment de la balle papa"!
J'espère que vous apprécierez autant que moi et qu'il ne saura pas trop vite le traitement que je lui réserve... non je crois qu'il est à l'abri d'avoir la grosse tête.
Très bonne lecture
Un idiot plein d'exactitude
Parler du tennis et du sport en général n’est, la plupart du temps, pour beaucoup d’entre nous, qu’une manière de parler de la vie en général et une façon, aussi, je crois, d’aborder – de biais – certaines questions d’ordre philosophique ou politique.
Pour ma part, on l’aura sans doute compris, c’est plus encore une voie détournée de parler de ce qu’il est possible de nommer la stylistique. J’ai toujours eu tendance à penser, en effet, que la manière des moindres actes, le ton et les mots choisis pour exprimer certains sentiments ou certaines idées, que les moyens employés, enfin, pour tenter de «réaliser» quoi que ce soit au monde, étaient révélateurs de l’âme cachée des gens.
Que la forme, en bref, était l’instant où le fond affleurait à la surface.
C’est pourquoi j’aimerais poursuivre sur ce blog – dans le but avoué (pourquoi écrit-on après tout ?) de me faire de nouveaux amis et, inévitablement aussi, hélas, de nouveaux ennemis - la dérive déjà insensiblement amorcée au cours de mes derniers commentaires sportifs et qui devrait m’amener - selon la pente avérée de mon tempérament - à des considérations mêlées concernant les choses du temps présent, mais, pour le coup, dans le style assez anachronique qui est le mien, celui, pour paraphraser le poète Léon-Paul Fargue, du fantôme occidental actif que je suis en réalité. Des commentaires effectués, en fait, par un être ressurgi inopinément du passé dans le temps présent et considérant les choses à travers une structure mentale résolument inactuelle ; étonné, voire effrayé pour tout dire, par la tournure prise par les événements. Et cela sans jamais m’éloigner trop de ce cher common sense qui m’a été instillé dès ma plus tendre enfance par la branche anglo-saxonne et normande de ma famille.
Un livre désormais oublié, écrit par un auteur lui-même oublié, Rémy de Gourmont, s’intitule Dialogue des amateurs sur les choses du temps. Il met en scène deux interlocuteurs (M. Desmaisons et M. Delarue – l’un jouant le rôle du raisonneur et l’autre celui de l’intarissable et véhément perroquetteur d’idées toutes faites) qui ne cessent de commenter les événements sur un mode dilettante, plaisant et délibérément décalé.
Je tenterai de donner la réplique à la partie psittaciste de moi-même dans un esprit similaire.
«Desmaisons. — Evidemment. L’art, le jeu, l’alcool, la danse, les sports, tout cela est du même ordre. Diviser les plaisirs en plaisirs matériels et plaisirs intellectuels, c’est un amusement scolastique. L’homme est une sensibilité détachée de sa racine, séchée et en voie de périr, comme des fleurs coupées si on ne renouvelle pas l’eau du vase où elles agonisent en ouvrant leur cœur et en répandant le parfum de leur âme.
Delarue. — Ce n’est pas très clair.
Desmaisons. — Mon cher ami, on ne peut pas être clair, quand on fait abstraction de tout le lieu commun. Les hommes parlent avec leur intelligence, je voudrais parler avec ma sensibilité. C’est très difficile. Des roses, des lys, des œillets, des violettes, cela fait des fleurs, très différentes entre elles. Laissez-les sécher et brûlez-les séparément, vous aurez quatre petits tas de cendres pareils d’aspect et à peu près identiques de composition. Les intelligences, ce sont ces petits tas de cendres, leur personnalité, leurs différence. Vouloir tout ramener à l’intelligence, c’est vouloir tout réduire en cendres. Deux mathématiciens qui parlent mathématiques se comprennent très bien : ils sont tout intelligence. Deux amants qui parlent amour ne se comprennent pas du tout : ils sont tout sensibilité.»
P.136, éditions Mercure de France, 1905-1907
*
Un lecteur du blog m’adresse la citation suivante, laquelle correspond tellement au sujet que j’essaie de traiter en permanence concernant la relation, assez étroite selon moi, entre style littéraire et style sportif que je regrette de ne pas l’avoir rencontrée plus tôt afin de la placer en exergue de mon Précis de mécanique gestuelle et spirituelle :
«J’ai une toute petite idée de ce que c’est d’être vivant. C’est la seule chose à laquelle j’accorde un grand intérêt. Cela et le tennis. J’ai espoir d’écrire un jour une grande œuvre philosophique sur le tennis, quelque chose de l’ordre de Mort dans l’après-midi, mais j’ai conscience que je ne suis pas encore au point pour entreprendre un tel travail. Je pense que la pratique du tennis sur une large échelle parmi les peuples de la terre fera beaucoup pour supprimer les différences, les préjugés, les haines de race, et caetera. Dès que j’aurai perfectionné mon coup droit et mon lob, j’espère commencer l’esquisse de cette grande œuvre.
(Il peut sembler à des gens sophistiqués que j’essaie de me moquer d’Hemingway. Eh bien, non. Mort dans l’après-midi est un beau morceau de prose, de bon aloi. Jamais je n’en dirai de mal au point de vue philosophique. Je pense que c’est de meilleure philosophie que celle de beaucoup d’universitaires réputés. Même quand Hemingway est idiot, c’est du moins un idiot plein d’exactitude. C’est énorme. Cela fait une sorte de progrès pour la littérature : raconter à loisir la nature et la signification de ce qui n’a qu’une très brève durée).»
William Saroyan, L’audacieux jeune homme au trapèze volant
«Raconter à loisir la nature et la signification de ce qui n’a qu’une très brève durée», voilà bien de tout temps (et très exactement) ce qu’a été mon projet littéraire subconscient et il fut, pour moi aussi, toujours plus ou moins clairement relié au projet quasi obsessionnel de précision gestuelle dans le placement de mes balles dans les jeux de raquette. Et, je crois bien m’être, encore et plus qu’à mon tour, retrouvé dans la position de l’idiot ou du lourdaud obstinément attaché à l’exactitude (de très courte durée) d’une trajectoire en revers ou d’une parole frappée au coin du bon sens. Précision et exactitude d’ordre presque mystique qui me sont toujours apparues comme étant le but véritable de l’exercice, bien au-delà du gain ou de la perte.
Il arrive toujours un moment, en effet, où, même après avoir placé vos balles avec une précision et une astuce tactique diabolique ou bien encore réussi la description la plus éclairante qui soit, l’adversaire étant meilleur que vous, la partie engagée vous échappe, les lecteurs étant momentanément inattentifs, votre prose se heurte à l’indifférence. La belle affaire ! Dans la mesure où, pour votre propre compte, vous avez réussi dans l’entreprise de donner corps à vos désirs : placer la balle au plus près de la ligne, trouver l’expression la proche de votre sentiment intime.
Je ne puis, à ce stade, m’empêcher de conclure sur une dernière citation d’un autre grand écrivain sportif, Jean Prévost, qui écrivit excellemment dans cet ouvrage intitulé Plaisir des sports, que je ne saurais trop recommander :
«Pour réussir une belle œuvre, ce n’est donc point à l’œuvre qu’il faut se consacrer exclusivement, c’est à soi-même. Du reste cette méthode est plus sûre, car si par hasard vos œuvres n’étaient pas tout à fait excellentes ou ne se trouvaient pas vouées au succès pendant le cours de votre vie, il vous resterait de vous être amélioré vous-même.»
• Denis Grozdanovitch •
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