La critique littéraire est un art admirable ... quand c'est bien fait!
Je vous livre donc ici un extrait du dernier Jean d'Ormesson et un -petit- melting pot des critiques relayées par Didier Jacob sur son blog, en particulier celle de François Dufait...
D'abord un extrait, puis la critique...
Chacun pourra se faire une idée de ce qui est critiqué, l'écrivain ou l'homme et son mode de vie...
Il me semble qu'il s'agit plus de l'homme et de son mode de vie que l'écrivain...
Il me semble...
Cela étant je suis d'accord avec Dider Jacob:
Jésus crie et la caravane passe!
Après la critique de Didier Jacob, le post que j'ai mis sur son blog ce matin...
J'aime bien!
Odeur du temps. Chroniques du temps qui passe
POIL A GRATTER, DANS LE SENS DU POIL
Je surprendrai peut-être le lecteur en lui assurant que ce que je préfère, c’est me taire. J’ai parfois regretté mes paroles, je n’ai jamais regretté mon silence. Je ne participe pas volontiers aux querelles qui agitent le petit monde des intellectuels parisiens. De temps en temps, j’ai pourtant échangé quelques banderilles avec des amis pour qui j’avais de l’estime, et parfois un peu plus. Au premier rang d’entre eux, Bernard Frank.
Frank était un écrivain qui faisait rêver les jeunes gens. Il avait un immense talent. Accessoirement, il se moquait volontiers de moi, il me prenait pour tête de Turc. Je ne répondais guère. Et puis, une fois pour toutes, je lui ai rendu la monnaie de sa pièce. Il est mort. Il ouvre ces pages parce que je l’aimais.
MON BOURREAU, MON AMOUR
Non, le mégalomane, le paranoïaque, ce n’est pas moi. C’est lui. Moi, personne ne m’appelle jamais, personne ne m’écrit jamais. Ou alors des dames de province avec des chapeaux verts ou des colonels à la retraite. Moi, je cache mes téléphones de Saint-Chély-d’Apcher ou de Loguivy-Plougras et les lettres que je reçois, d’une écriture maladroite, sur du papier quadrillé, pour me confirmer que je suis idiot et la honte de la famille. Lui, c’est Sartre à tout bout de champ. C’est Nadeau deux fois par semaine. Dans les jours les plus sans, dans les heures les plus pâles, c’est Fontaine ou Fauvet, il ne sait plus, il les confond, il plane très loin au dessus-d’eux. Mais il se souvient avec précision de tous les torrents de miel qui sortaient de leur bouche : « Ah ! comme c’est bien Frank, ce que vous avez écrit sur Drieu ! Je ne croyais pas que vous seriez capable d’écrire quelque chose d’aussi bon. Pourquoi ne nous donneriez-vous pas un article comme ça, en plus long, pour Les Temps modernes ? (Ou pour le Cahier des saisons, ou pour Le Monde, ou pour L’Observateur, on le réclame de partout, rayez la mention inutile.) Allez-y comme vous voulez sur le sujet que vous voulez. » Éblouir ! Éblouir ! Le jeune Frank ne pense qu’à ça. Et il y réussit. Pas toujours pour longtemps. C’est souvent : « Bonjour ! Bonsoir ! Adieu ! Et allez au diable ! » On dirait qu’on se fatigue de Bernard Frank plus qu’il ne se fatigue de lui-même. « J’ignorais, lui confie Sartre avec une espèce d’admiration, que vous pouviez écrire quoi que ce soit sur quelqu’un d’autre que vous-même. » Mais enfin, à mi-chemin entre le coup de tonnerre de la révélation sur le mont Sinaï ou sur le mont Nebo et la lassitude, le dégoût, l’extinction de voix, Bernard Frank, qui vient de réunir en volume ses articles des années cinquante1, y aura tenu beaucoup de place. Une place qui me paraît énorme puisqu’elle fait plus de bruit que la mienne.
Moi, pour la modestie, je ne crains personne. Et je me demande pourtant ce que Bernard Frank aurait pu faire sans moi ? Je venais d’atterrir, je me souviens, dans un fauteuil d’un journal un peu réactionnaire – ah ! c’était moins élégant que Combat ou L’Observateur… – qui s’appelait Le Figaro. C’était avant l’arrivée de Robert Hersant qui allait, bien entendu – il y a dans cette affaire comme un parfum de romance à la Modiano –, écrire « une lettre charmante » à notre bon Bernard et insister « par deux fois », avec vigueur, auprès de lui pour qu’il veuille bien accepter comme une grâce d’entrer au Figaro en qualité de feuilletoniste en titre. Ah ! ce n’est pas à moi, refrain, que Robert Hersant aurait écrit des lettres charmantes. Je crois bien qu’il ne répond même pas aux livres que je lui envoie avec des dédicaces aimables. Mais Bernard, plus malin que moi, préfère Le Monde et L’Observateur. Où en étais-je ? Ah ! oui… je venais d’arriver au Figaro quand je reçois une lettre – charmante, pour parler comme Bernard Frank – de Philippe Tesson qui dirigeait (et dirige toujours) un autre journal réactionnaire : Le Quotidien de Paris. Bernard Frank lui avait envoyé un article, excellent, où il me traînait dans la boue. Parfait. L’article paraît. Huit jours après, même scénario : lettre de Tesson, deuxième article de Bernard Frank sur ma pauvre personne dont il ne restait presque rien, publication et succès. Dix jours plus tard : même histoire, troisième article, tout Paris lance à Bernard les oreilles et la queue, malheureusement ce sont les miennes, je me fais de plus en plus minuscule dans mon superbe bureau. Enfin, quinze jours plus tard, Tesson m’annonce qu’il a reçu un quatrième article de Bernard Frank. Il parle de Marlène Dietrich. Et il est si mauvais qu’il est impubliable. Voilà un homme, évidemment, qui ne peut pas se passer de moi. Ce sont de ces choses qui créent des liens. J’aime Bernard Frank à la folie.
Maintenant les critiques...
Faîtes votre choix, le mien est fait!
21 juin 2007
Ce Christ, le critique
C’est tribal, mais feutré. Pas de lancers de flèches qui déchirent la savane, et les parures rituelles sont simplement des visages un peu mornes, un peu anciens. Ca s’appelle Brenner, Jacques, distingué critique et éditeur d’après-guerre, romancier à ses heures, dont Claude Durand, chez Pauvert, publie le second tome du Journal (1950-1959). On se croirait au Musée des Arts premiers.
Il y a des vivants et des morts. Des morts surtout. Tiens, ce masque bantou. Mais non, c’est Jean-Edern : « Vendredi 1er octobre 1954. Le jeune Hallier qui m’interviouve pour Arts me dit : « J’ai beaucoup aimé votre livre, mais il n’aura pas de lecteurs, vous ne croyez pas ? » Il a l’œil gauche malade, plus lent à se mouvoir que le droit, et plus brillant. Sentiment de gêne, bien que le garçon soit sympathique. » Voyez, ces gens qu’on a toujours connus vieux. Ces Jean-Edern. Grâce à Brenner, voici qu’ils sont jeunes à nouveau. Qu’ils débutent, qu’ils gaffent, qu’ils commencent à peine à mordre.
Son style sans cesse balançant entre l’ancien et le moderne. L’ancien : « Au moment du cognac, on commence à parler femmes. On en arrive toujours là. » Le moderne : « Cocktail L’Arche. Que de sourires ! Et la basse comédie des intellectuels : tout était faux à hurler ou à rire (c’est à cette seconde solution que je me rangeais). » Les cocktails, pour le monde moderne. Et puis les femmes, pour l’ancien.
Nous avons toujours les cocktails. Spécialité française. Nous avons Grasset, dont Brenner fut l’un des champions, Grasset qui est un peu moins aujourd’hui la machine Grasset. Qui s’en plaindra ? Cette machine à vendanger à la machine, non pas le raisin, mais le prix littéraire. Grasset achetait les jurés en lâchant de gros chèques pour des livres qui ne se vendaient guère. C’est aujourd’hui moins vrai. Plus vrai du tout ? L’actuel patron de la maison, Olivier Nora, a su, en tout cas, moderniser la maison, transformant une organisation mafieuse en famille honorable. Et il a, du coup, passé tout le milieu au désinfectant.
Les anciens, les modernes. Et les éternels vieux singes jeunes : Jean d’Ormesson. François Dufay, dans le Point, signe un joli portrait de l’écrivain, pour son livre, aux Editions Héloïse d’Ormesson (fille de Jean). François n’a pas de chance. Il devait succéder à Marie-Françoise Leclère, qui dirigeait les pages culture du Point. Et puis Giesbert a finalement installé Christophe Ono-Dit-Biot à sa place. Encore un jeune. Le Point, qui était resté, sous le règne de Marie-Françoise, le bras armé, pour les livres, des Editions Grasset. Un piton rocheux surmonté d’un journal, où l’on défendait, bec et ongles, tout ce qui se publiait sous la couverture jaune. Le bastion est enfin tombé.
Jean d’Ormesson, un « djeune », écrit Dufay. 82 ans, il avoue « se mépriser un peu ». Pas trop quand même ! Je cherche vainement à d’Ormesson, dans l’index du Brenner. Pas un mot sur lui ? Même en mal ? Car on lit toujours les carnets des écrivains pour lire les saloperies qu’ils ont écrites sur le confrère. Sur Robbe-Grillet, par exemple : « Robbe ne s’intéresse qu’à son œuvre. Il est systématiquement contre tout. N’apprécie que les critiques qui lui ont consacré des articles élogieux. Au fond, il devrait se contenter d’écrire un manifeste. » Tout comme Dufay, sur d’Ormesson : après la caresse, la claque. « Veloutées, enlevées, légères (parfois trop), les chroniques recueillies dans « Odeur du temps » semblent faites pour être lues au bord d’une piscine. » Ah, louanges ! Sincère enthousiasme !
Il est vrai que d’Ormesson, sous ses allures de vrai tendre, règle aussi ses comptes, dans l’article du Point, par exemple avec Yourcenar, dont il juge, sans doute à juste titre, que les « Mémoires d’Hadrien » font « un peu peplum en toge ». D’Ormesson cache-t-il un Chardonne, tel que Brenner joliment le dépeint ? « Chardonne est extrêmement aimable pour les personnes présentes, de sorte qu’on ne remarque pas tout de suite qu’il est très méchant. Il a la dent très dure lorsqu’il parle des absents et lorsqu’il commence gentiment, c’est alors qu’il sera le plus féroce. » Et Brenner de citer encore ce mot de Chardonne : « Il y a en ce moment deux écrivains qui comptent : moi et Sartre. Mais Sartre, c’est la mort de la littérature. »
Brenner a le don du portrait à charge, sauvant Perdriel, l’un de ses seuls vrais amis. Blanchot, « d’une inquiétante minceur. Il a le ton et les attitudes de Jouhandeau, quelque chose d’épiscopal que je n’attendais guère. Il parle avec beaucoup de lenteur et quelques subjonctifs. » Montherlant : «Lu les Carnets de Montherlant. L’impression générale est une impression de bassesse. » Et puis les anecdotes. « Le jour du Renaudot, Butor et Lindon avaient déjeuné dans un petit bistrot près de chez Drouant. Pour rentrer à Saint-Germain : « Prenons le 95, dit Lindon, ce n’est pas parce qu’on a un prix qu’il faut jeter l’argent par les fenêtres. » »
Que reste-t-il du personnage après le diaporama ? Brenner est triste par essence, vieille âme par profession. Le contraire de d’Ormesson qui, lui, se lève gai tous les jours que Dieu fait. «Ah si, Jean d’Ormesson a quand même sa part de malheur : il souffre de la goutte. Et pour preuve, ce délicieux cabot ôte soudain un mocassin, qu’il porte sans chaussettes… » Pieds nus dans ses mocassins. Fait pour le bonheur. Tandis que Brenner se demande s’il ne ferait pas mieux de «crever une fois pour toutes ». Problèmes divers, problèmes d’argent. D’amour. « Ciel gris : ça me convient », écrit-il. Ou encore : «Lamentable journée, bien entendu. Solitude effroyable. » Il écrit «précipitamment, en moins de deux heures, un article sur Hermann Broch pour Paris-Normandie. » Hermann torché en deux heures dans le journal des cidriers du Pays d’Auge ! On a beau dire, critique, quel métier !
Bonjour,
je me demande si je ne vais pas reprendre celle-là pour la mettre sur mon blog...
Parce que le papier de Dufait ce n'est quand même pas formidable dans le genre aimable...
Mais pour se conduire comme Jean d'Ormesson à l'égard de Bernard Frank ( et réciproquement) il faut être Jean d'Ormesson et Bernard Frank ... pas Philippe Dufait.
Cela étant le papier dans le Nouvel Obs sur le même sujet , car dans ces papiers , l'écrivain est ignoré au profit du "phénomène médiatique" et traité comme un sujet d'analyse sociologico-littéraire n'est pas beaucoup plus sympathique...
Mais il est quand même nettement moins ... disons antipathique pour rester poli dans une de ces journées de grâce où la politesse s'invite chez moi ce qui est rare!
J'ai donc préféré le papier de Leménager ... il faut dire que les papiers dans l'Obs sur les auteurs maison sont tellement rares...autant en dire ... pas trop de mal!
C'est vrai c'est dur d'être critique littéraire.
Surtout lorsque l'on ne parle pas de littérature!
Mais pour ce qui te concerne , Didier, je peux t'appeler Didier et te tutoyer puisque nous ne nous connaissons pas, ce n'est pas ton cas.
Alors merci encore pour ces critiques de critiques et à très bientôt j'espère, ici ou ailleurs.
P.S: j'ai beaucoup aimé tes réponses au jeu des 4 bouquins(quel auteur reliriez vous?)
En particulier celle-ci:
1) Faulkner
2) Faulkner
3) Faulkner
On dirait Jean d'Ormesson à propos de Bernard Frank
" il a publié trois livres: les Rats, les Rats, les Rats!"
Venant de moi prends le comme un vrai compliment!
Ecrit par : Gilles Cohen-Solal | 22 juin 2007
Erreur du 16 février: critique rédigée par Desjardins et non d'Ormesson !
Rédigé par : Desjardins | 16 février 2016 à 09:39
Monsieur d'Ormesson est un écrivain toujours heureux, admiratif de la vie, qu'il a eu certe très belle, ce qui facilité son point de vue, nous remettant en mémoire beaucoup de sujets, jusqu'au bourrage de crâne car il se répète dans ses livres mais, il est reposant , très agréable à lire, il est une "recréation" entre d'autres lectures. C'est déjà beaucoup
Rédigé par : d'Ormesson | 16 février 2016 à 09:35
je cherchais, et ben j'ai trouvé. Exalibur. D'ormesson est une épée. Et il en faut beaucoup de commis et laquais pour le sortir du granit. Et ne plus j'aime pas ce qu'il écrit. Comment il les étrille...un régal.
Tesson est un con, Tesson est un con Tesson est un con, lalalère. Enlevez l'O est la terre n'est que bosses et creux. Et dans les abysses séchées ou le soleil ne parvient pas, un Bernard devenu ermite, survit avec les poissons hideux à grandes dents.
Rédigé par : martingrall | 25 juin 2007 à 10:59
Qu'il est beau ce temps où l'on a l'impression que l'intelligence littéraire vient du défaitisme, de la morosité, et du pessimisme.
Faut-il parler du malheur, pour être reconnu comme grand écrivain?
Jean d'Ormesson doit-il être le seul, d'une génération, à ne pas écrire ses angoisses de la feuille blanche pour remplir des livres. D'un cerveau productif, Vous en faite des envieux... tant de critiques à votre sujet, n’est-elle pas le simple fruit d'une jalousie « capitale »?
Réussir à être heureux dans ce monde est là, sa plus belle réussite, vous l'enviez, et l'envie est un vil défaut.
Que sa plume ne s'arrête jamais, qu'elle soit et qu'elle reste dans l'activité de tout ses sens, une porte ouverte à la critique de l'équilibre trouvé, et qu'elle active chez nous l'envie de lui répondre. Qu’elle ait se talent de nous faire frissonner et penser.
A la bêtise rien n’est de trop, aux sens que nos défauts.
Peu importe pour Lui que l'on aille dans son sens, la critique est le clou qui nous fait rester sur terre.
Voici ici, juste un hommage à l'Homme.
Ne pas être d'accord avec Lui, dans ses pensées et ses analyses est un droit commun, mais qu'on lui reconnaisse le talent de ne jamais vouloir planter pour de bon, notre monde dans l’ « aigritude » de notre siècle...
Que son humour et sa délicatesse hantent encore nos pensées pour longtemps...Merci
Rédigé par : Lave vitre | 24 juin 2007 à 14:58