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Commentaires

TLACIAR

Cher Gilles,

J'ai cru comprendre en te lisant dernièrement que la vie n'était pas très simple...
J'espère que cela va mieux.

Au plaisir d'une rencontre au 104...

Guillaume
(si le "Totem", t'interesse, passe moi un mail, je garde toujours un petite caisse des livres que j'aime !!)

TLACIAR

Ci-dessous un excellent article de Libération sur "Le totem du loup", un livre extraordinaire publié aux Editions Bourin.

Je vous le conseille à tous... (et pas seulement parce que je l'ai imprimé et lu en prem's...)

L’année du loup
Epopée. De la Mongolie à Pékin, de la Révolution culturelle au libéralisme, les aventures de Jiang Rong conquièrent le monde.
De notre correspondante à Pékin PASCALE NIVELLE
QUOTIDIEN : jeudi 7 février 2008
Jiang Rong Le Totem du loup Traduit du chinois par Yan Hansheng et Lisa Carducci, version française de Boris Martin. Bourin Editeur, 567 pp., 25 euros.

Le visage lisse sous d’énormes lunettes à monture d’écaille, engoncé dans trois couches de lainages, Jiang Rong sirote son thé dans un verre, s’excusant de n’avoir pas de carte de visite. Mais il ne faut pas se fier à l’apparence. L’uniforme de grand-père tranquille cache un insoupçonnable «libéral opiniâtre» et aussi l’auteur d’un immense best-seller en Chine. Impassible et mesuré, Jiang Rong ne se livre pas facilement. C’est un homme qui prend son temps. Pour écrire le Totem du loup, son œuvre unique, il a mis vingt ans.

Le livre ne passe pas inaperçu. Pavé de plus de 400 pages à la couverture percée de deux yeux phosphorescents, il s’est déjà vendu à 2,6 millions d’exemplaires en Chine, auxquels s’ajoutent 15 millions de copies pirates parfaites. En tête des ventes pendant plus de deux ans, rivalisant avec Harry Potter, il a obtenu en novembre le premier prix Man de littérature asiatique, financé par le groupe britannique déjà sponsor du célèbre Booker Prize. Vingt-quatre pays ont acheté les droits. Penguin a déboursé 100 000 dollars (68 000 euros), somme record pour un auteur contemporain chinois, pour le sortir en mars. Random House, filiale du groupe Bertelsmann, a acquis la traduction pour l’Allemagne, et Mondadori pour l’Italie. En France, les éditions Bourin ont décroché ce qu’elles espèrent être un jackpot grâce à Jean-Jacques Augier, ancien PDG de Balland venu faire d’autres d’affaires en Chine. Entre l’ouverture de la première boucherie française de Pékin et celle d’une librairie très rive gauche, l’Arbre du voyageur, Augier a déboursé 50 000 euros. Les yeux fermés, car il ne lit pas le mandarin. La carrière du To tem du loup devrait se prolonger à Hollywood. Peter Jackson, le réalisateur du Seigneur des anneaux, a déjà réservé les droits pour le cinéma.

«Troupeau». Que raconte-t-il, ce Totem ? Les aventures personnelles de Jiang Rong, retraité semblable à des millions d’autres Chinois passés par les affres du communisme. Il s’agit d’un roman initiatique, métaphorique, parfois un peu pléthorique, émaillé de combats hallucinants et de scènes émouvantes. La mort d’un louveteau, symbole de la liberté écrasée, a arraché des larmes aux lecteurs chinois… L’histoire se déroule pendant la Révolution culturelle. Chen Zhen, le héros, est «un jeune instruit» de la capitale envoyé se ressourcer en Mongolie-Intérieure. Berger dans une brigade de production, il participe à «l’œuvre de civilisation» des communistes chinois, dont le but est de sédentariser les nomades et d’exterminer les loups. Au contact des Mongols et des fauves, qui vivent dans une harmonie sauvage, Chen Zhen fait l’apprentissage de la liberté. Peu à peu habité par «l’esprit du loup», il renie la philosophie confucéenne des Han chinois. Son peuple, comprend-il, n’est qu’un immense «troupeau de moutons». Des agriculteurs sédentaires et passifs, victimes de dictateurs depuis des millénaires, qu’ils soient empereurs ou Grand Timonier.

La thèse a fait bondir. L’auteur, enseignant en sciences politiques dans une université de Pékin et parfaitement inconnu jusque-là, s’y attendait. Habitué aux tracasseries des communistes, il avait pris ses précautions : Jiang Rong est un pseudonyme, inspiré du nom d’un ancien empereur nomade. Mais il ne s’attendait pas, avec son roman touffu et érudit, à un tel raz de marée. Retraités, étudiants, hommes et femmes, le public a accroché d’emblée. Certains ont été séduits par l’épopée dans la steppe, les autres émus par ce Croc-Blanc chinois. D’autres encore ont été passionnés par le témoignage fouillé sur les nomades mongols et leur culture anéantie par la planification. La surprise est surtout venue des milieux économiques, plus réputés pour leur goût des grosses Audi que pour leur intérêt envers la littérature. En quelques mois, la saga mongole de Jiang Rong est devenue la bible des libéraux chinois. Le Totem a remplacé l’Art de la guerre de Sun Tzu sur la table de chevet des entrepreneurs dynamiques, qui y ont lu une apologie de l’esprit de compétition, une arme dans la guerre économique contre l’Occident. Zhang Ruimin, PDG de la société d’électroménager Haier (50 000 employés), a même signé au dos de l’édition chinoise une critique musclée autant qu’enthousiaste : «Ce livre m’a appris la stratégie. On ne fait pas une guerre sans préparation, il faut une organisation solide, savoir choisir le meilleur moment et attaquer par surprise pour frapper l’autre mortellement…» D’innombrables essais commerciaux, du genre Partir à la conquête économique de l’Ouest ou Devenir un self-made-man ont repris la thèse du loup, alimentant un nationalisme économique tout à fait dans l’air du temps.

Le Totem a aussi mis en rage l’aile encore bien vivace des caciques du Parti, qui a tenté de s’opposer à la publication. Qualifié de fasciste par des sinologues patentés, d’antipatriote par les conservateurs furieux d’être traités de moutons, il a cependant passé la censure. Depuis quatre ans, malgré les prix littéraires et la reconnaissance internationale, il continue de nourrir des thèses universitaires et une controverse sans fin sur Internet. Un débat à l’image de la Chine actuelle.

Jiang Rong, 62 ans, observe de loin derrière ses lunettes démodées, sans jamais intervenir publiquement. Il n’est sorti du bois qu’après le prix Man asiatique, révélant pour la première fois son visage et sa véritable identité, Lu Jiamin. Son nom avait déjà commencé à circuler sur Internet, il a préféré se démasquer. Pas mécontent de son succès mais toujours très énigmatique, il enchaîne désormais les interviews et pose même pour les photographes. «Il y a dix ans, ce livre ne serait jamais sorti en Chine, explique-t-il, et je serais parti en prison. Les choses changent.» Sous le couvert de la «liberté», il justifie la fuite en avant de son pays dans le libéralisme le plus débridé : «La Chine est une dictature en mutation, en transition d’une économie agricole en économie de marché. Pour cela, il faut que les gens apprennent la liberté, comme les loups.» On ne pourrait mieux résumer l’état d’esprit ambiant dans la future troisième puissance économique mondiale. Jiang Rong ajoute : «Lorsque la phase économique sera terminée, la Chine sera prête pour la démocratie. C’est sur cela que je me bats depuis toujours.»

«Rats et sable». L’histoire est longue pour devenir loup, Jiang Rong a lui-même fait le chemin. A 20 ans, il est garde rouge à Pékin, acharné comme tous à éradiquer «les quatre vieilleries» (vieilles pensées, vieille culture, vieilles coutumes, vieilles habitudes). Mao est son dieu, le Petit Livre rouge a effacé ses lectures de jeunesse. Tolstoï, Stendhal, les auteurs des Lumières… Jiang Rong a beaucoup lu pourtant, grâce à sa mère née dans une famille de mandarins lettrés. Elle est morte à 39 ans, en 1957, avant la folie collective. Membre du Parti communiste chinois clandestin de Shanghai dès sa création, elle a donné sa vie à la révolution. Son mari est un haut fonctionnaire du ministère de la Santé, vétéran de la guerre contre le Japon. Jiang Rong est le fils de deux héros. Mais au mitan des années 60, le vent a tourné. Le père de Jiang Rong, handicapé depuis la guerre, est maintenant une «sommité académique antirévolutionnaire». Il est humilié, battu, déshonoré par de jeunes exaltés à qui l’on a donné tous les pouvoirs. Dans les rues de Pékin, on pille, on casse, on brûle. Jiang Rong comme les autres. «Avec ce qui venait d’arriver à mon père, je ne me sentais pas bien, raconte-t-il. En l’espace de quelques jours, on nous avait donné une autorité absolue, je n’y croyais pas.» En 1967, lorsqu’on commence à brûler les livres, il se porte volontaire pour la campagne. «Je me suis dit qu’il fallait commencer par apprendre la vie. J’ai choisi l’endroit le plus dur pour forger mon caractère, la Mongolie-Intérieure.» Clandestinement, il emporte deux malles bourrées de livres, dont ses préférés, le Rouge et le Noir et Jane Eyre. Il restera onze ans avec les nomades mongols et leurs frères ennemis, les loups. En Mongolie, Jiang Rong passe aussi trois ans en prison, échappant de peu à la peine de mort pour s’être fait les dents sur le numéro 2 du Parti, qu’il critique en public. Il rentre à Pékin, à jamais nostalgique de son aventure mongole. Lorsqu’il y reviendra, des années plus tard, la trace des nomades aura disparu. A la place de la steppe, il ne trouvera que «des rats et du sable»… Profondément révolté par le gâchis humain autant qu’écologique, il a donné une grande partie de sa soudaine fortune à des ONG environnementales pour sauver du désastre un bout de prairie ou un lac pollué. Lui s’efforce de ne rien changer à son style de vie. Il habite un appartement tout simple dans une banlieue de Pékin et se déplace en bus. Comme il a toujours fait.

«A genoux».A la fin des années 70, Jiang Rong a cofondé une revue protestataire, le Printemps de Pékin. Lors des événements de Tiananmen, il raconte être descendu dans la rue avec ses étudiants et avoir passé pour cela dix-huit mois derrière les barreaux. L’expérience l’a laissé aigri, mordant contre «les leaders qui se sont réfugiés dans les ambassades en laissant les autres à leur sort». Et contre leurs méthodes : «C’était une révolution agenouillée, on réclamait la démocratie à genoux ! La preuve qu’on ne s’était pas débarrassés de l’attitude servile du peuple des empereurs.» Après 1989, il lui est interdit de publier quoi que ce soit, même dans le cadre de l’université de Pékin. Il décide alors de se plonger dans son passé, de fouiller la culture mongole et de se lancer dans l’écriture du Totem, qu’il porte en lui depuis des années. Son épouse, Zhang Kangkang, elle-même romancière réputée, lui est d’un puissant secours. Le Totem du loup sera sa contribution à la «politique de réforme et d’ouverture» lancée par Deng Xiaoping, à laquelle il croit dur comme fer malgré les brimades qu’il continue de subir. «Pas un moment je n’ai pensé me réfugier en Occident», dit-il, soudain très animé. «J’ai voulu continuer à me battre pour faire évoluer le régime.» Au fond de lui-même, l’ancien garde rouge est resté communiste. Comme les grands patrons d’entreprise qui dirigent la Chine d’aujourd’hui. Le Totem du loup est leur épopée, autant que celle des nomades mongols engloutis.

www.letotemduloup.com

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